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L'affaire Lindbergh

Le 1er mars 1932, le fils du célèbre aviateur Charles Lindbergh est enlevé en pleine nuit dans leur résidence secondaire de Hopewell dans le New Jersey. Une enveloppe avec une demande de rançon écrite dans un mauvais anglais, bourrée de fautes d’orthographe est retrouvée dans la chambre du bambin. Contre 50'000 dollars, le bébé de 20 mois sera rendu aux parents. Lindbergh paie la rançon, mais son fils ne réapparaîtra jamais vivant. Le 12 mai 1932, il est retrouvé mort dans les bois à quelques kilomètres de la résidence. En 1934, Bruno Hauptmann, un menuisier allemand est arrêté et condamné dans ce qu’on pourrait appeler « la plus grande farce judiciaire de l’histoire des procès américains ».

 

Charles Lindbergh

 

L’enlèvement

Dans la nuit du 1er mars 1932, Charles Lindbergh est réveillé en sursaut par un bruit de branche cassée dans le jardin. Il se dirige vers la fenêtre de sa chambre mais n’aperçoit rien. Par précaution, il décide de faire un tour dans la propriété. En arrivant dans la pièce où dort son petit dernier Charles Augustus Lindberg, il découvre que la chambre est vide, la fenêtre ouverte et qu’une échelle de fortune est dressée contre la façade. Il trouve sur le rebord du chauffage près de la fenêtre une enveloppe avec une demande de rançon de 50'000 dollars. Curieusement Lindbergh appelle en premier son ami et avocat Le colonel Henry S. Breckinridge. C’est seulement après l’arrivée du colonel qu’il avertit la police. Lindbergh veut essayer de traiter lui-même avec les ravisseurs, car la lettre demande explicitement de ne pas avertir la police.

Au petit matin, un escadron de policiers arrive sur les lieux, suivis de très près par une meute de journalistes. Lindbergh était devenu un héro national après avoir réussi l’exploit de la traversée de l’Atlantique en avion quelques années auparavant. Les policiers découvrent deux empreintes de pas distinctes sur le sol qui semblent partir vers les bois. Ils notent également que l’échelle de fortune n’a pas pu servir à un seul homme sans aide pour descendre avec un enfant dans les bras. Mais la police ne trouve rien, pas d’indices. Ils suggèrent également la possibilité qu’une personne dans l’entourage de Lindbergh ait fait partie des complices. Comment les kidnappeurs auraient-ils pu connaître l’emplacement exact de la chambre et comment pouvaient-ils savoir que la nurse avait pris son jour de congé ? Après quelques vérifications de routine, ils suspectent la domestique Violette Sharp, qui se confine dans des réponses plutôt évasives et peu cohérentes. Cependant, ils décident d’approfondir ultérieurement leurs questions et de s’atteler à fouiller les environs. Mais Rien.

 

L'affiche d'enlèvement

 

La Rançon

Lindbergh reçoit de nombreuses lettres de soutien et il annonce dans un communiqué qu’il est prêt à tout pour retrouver son fils. D’après certaines rumeurs, même Al Capone, emprisonné à cette époque, aurait proposé son aide. Lindbergh se tourne alors vers un professeur à la retraite du nom de John Condon, qui lui propose son aide en tant qu’intermédiaire pour la remise de la rançon. Condon décide de passer par les petites annonces du Daily Mail sous le pseudonyme de « Jafsie ». Il organise une entrevue sans que la police soit au courant dans un cimetière du Bronx et rencontre un homme qui se fait appeler John. Jafsie remarque qu’il a un accent germanique, mais il ne peut pas le dévisager, car il se tient dans la pénombre. Il demande au ravisseur une preuve que l’enfant est bien vivant avant de mettre en route le processus de paiement. Pour preuve, il reçoit un pyjama d’enfant qui est attesté comme étant celui du fils de Lindbergh. Le ravisseur rassure également Condon, que l’enfant se porte bien et qu’il est entouré par deux femmes qui prennent soin de lui. Deux jours plus tard la somme est réunie et Jafsie, par l’intermédiaire du Daily Mail, annonce aux ravisseurs que l’argent est prêt. La somme a été composée de billets avec des certificats d’or qui seront facilement détectables lors de leur utilisation, étant donné que ceux-ci seront prochainement retirés de la circulation. Il reçoit un téléphone d’une personne qui semble être John à la voix, mais il note également des voix avec un accent italien dans le fonds. Le lieu de rendez-vous est fixé au cimetière de St-Raymond, après avoir suivi un jeu de piste dans tout Manhattan. Jafsie remet l’argent et reçoit une note en retour confirmant que l’enfant se trouve sur un bateau, Le Nelly, dans la baie de Martha’s Vineyard. Lindbergh se rend au port, mais il ne trouve aucun bateau de ce nom. En désespoir de cause, il tente de survoler la baie avec son avion, mais rien. Il se rend à l’évidence qu’il a été dupé. Il n’y a plus qu’à espérer un faux pas des ravisseurs ou une nouvelle demande.

 

John Condon alias Jafsie

 

La découverte du corps

Ce n’est que le 12 mai 1932 que le petit Charles est retrouvé dans les bois à quelques kilomètres de la résidence Hopewell des Lindbergh par deux chauffeurs-livreurs. Le corps est déjà en état de décomposition et l’autopsie révèle que l’enfant a été tué peu de temps après son enlèvement par un violent coup à la tête. D’après le médecin, il est possible que le ravisseur l’ait laissé tomber en descendant de l’échelle. Lindbergh est anéanti et le crime devient fédéral.

La police revient alors à la charge vers Violette Sharp, mais ne supportant plus cette suspicion, elle met fin à ses jours en ingurgitant du poison. Avait-elle quelque chose à se reprocher, nul ne le saura ! Condon, lui, tente de retrouver le fameux John en arpentant Manhattan et Long Island, si bien que ses mouvements iront même à le soupçonner d’être impliqué. La police piétine, malgré les avertissements aux commerçants, quant aux billets certifiés qui seraient éventuellement dépensés.

Suspects et arrestation

Juste avant la date limite d’échange de ces fameux billets, un certain JJ Faulkner apporte dans une banque de Manhattan près de 3'000 dollars certifiés or provenant de la rançon. L’adresse qu’il laisse sur le formulaire est bidon, puisque qu’aucune personne de ce nom n’habite dans le quartier. La police retrouve finalement la trace d’une Madame Faulkner, qui avait résidé dans le quartier jusqu’en 1913, avant de se marier avec un certain Geissler. Geissler avait eu deux enfants d’un précédent mariage, dont un, qui, curieusement, travaillait comme fleuriste dans le quartier de Jafsie… ! Autre coïncidence troublante, Jafsie remarque que l’accent du fils ressemble étrangement au ravisseur avec qui il avait traité. Pourtant la police ne pourra mener une enquête approfondie, puisque le fils Geissler met fin à ses jours peu de temps après… !

Il faudra attendre septembre 1934 pour que la situation se décante, lorsqu’un pompiste, intrigué par le comportement d’un client, qui a payé en dollars certifiés, avertisse les enquêteurs. Il a eu la bonne idée de relever le numéro d’immatriculation, qui permet de retrouver facilement sa trace. Son domicile est perquisitionné et on retrouve dans son atelier une boîte contenant 11'000 dollars de la rançon. Il est mis en garde à vue et violemment questionné. L’homme nie en bloc toute participation à cet enlèvement et explique que cet argent lui a été remis par son ex-associé qui a précipitamment quitté le pays pour retourner en Allemagne. Le problème est que cet ex-associé est mort en Allemagne. De plus, les enquêteurs remarquent que les lamelles du plancher de son grenier sont étrangement similaires à celles utilisées pour confectionner l’échelle de fortune. John Condon, qui a assisté à l’arrestation, ne peut attester formellement que cet homme est bien le mystérieux John qu’il avait rencontré lors de la remise de la rançon. Mais les enquêteurs sont persuadés qu’il est bien l’auteur du crime et décide de le mettre en détention préventive. Ils forcent le prévenu à recopier à maintes reprises la lettre de rançon. Les graphologues attesteront ensuite que l’écriture est la même. Enfin et surtout, deux témoins affirment l’avoir aperçu près de la propriété des Lindbergh dans sa voiture avec une échelle. Il semble y avoir suffisamment de preuves pour l’inculper et l’envoyer devant les juges.

Bruno Hauptmann

 

Hauptmann

 

L’individu s’appelle Bruno Hauptmann. Né en 1899 en Allemagne, il rejoint l’armée allemande pendant la première guerre mondiale. Après la guerre, dans l’Allemagne ravagée, il tente désespéramment de trouver du travail, mais n’y arrive pas. Il sombre alors dans la criminalité, et avec un complice, il effectue plusieurs vols à mains armées qui le conduiront en prison pour 5 ans. En 1923, il réussit à s’échapper de prison et tente par deux fois de rejoindre les Etats-Unis sans succès. La troisième sera la bonne. Il trouve alors un travail de menuisier et épouse Anne Schoeffler en 1925. Il semble avoir tiré un trait sur son passé et les affaires prospèrent si bien qu’il se lance dans la bourse, reléguant son travail de menuisier au second plan. En 1930, il s’associe, sans le savoir, à Isidor Fisch, qui est un escroc notoire. En 1934 l’association se dissout et Fisch embarque pour l’Allemagne, où il mourra de tuberculose. Fisch aurait remis à Hauptmann une boîte à chaussure qu’il devait conserver jusqu’à son retour. Mais en apprenant la mort de son ex-associé, il aurait ouvert le contenu et remarqué une petite boîte métallique glissée dans une des chaussures. Celle-ci contenait 15'000 dollars. Hauptmann aurait décidé de les dépenser à hauteur d’un montant de 7'500 dollars, somme que Fisch lui devait.

Isidor Fisch 

Le procès

Le procès se tient à Flemington dans le New Jersey. La ville est saturée de policiers, reporters et gens de tous bords qui veulent assister à ce que l’on surnommera « Le procès du siècle ». Un crime monstrueux commis sur la famille d’un héro national…. Autant dire que Hauptmann part avec un sérieux handicap ! D’autant plus que son avocat est un adorateur de Lindbergh !

Mais les preuves sont indirectes et ne peuvent pas explicitement impliquer Hauptmann. Le fait d’avoir cet argent et de posséder des lamelles similaires ne prouvent pas qu’il est l’auteur du crime. Malheureusement pour Hauptmann, la farce va se mettre en route :

Premièrement John Condon, qui n’était pas sûr de reconnaître Hauptmann par sa voix, indique clairement au tribunal, que la voix du ravisseur était bien celle de Hauptmann.

Les deux témoins cités indiquent qu’ils ont aperçu Hauptmann au volant de sa voiture avec une échelle à l’intérieur. Mais l’un deux est atteint de cataracte, et le second est reconnu comme un menteur invétéré. Seulement voilà, la police aurait rétribué les deux hommes pour leurs témoignages. Avec les temps qui courent, un peu d’argent est toujours bienvenu. Pour la petite histoire, le deuxième témoin sera arrêté quelques mois plus tard pour escroquerie !

L’échelle qui est amenée au tribunal n’est pas celle qui fut utilisée sur la façade de la maison des Lindbergh. Une batterie d’experts atteste que les planches utilisées sont bien celle du plancher du grenier de Hauptmann. Or la pièce à conviction ne présente aucunes traces de boue, pas de marques et encore moins d’empreintes. Avec la pluie qu’il tombait ce jour-là, il est peu concevable que l’échelle ne présente pas de boue, même sèche ! De plus avec du matériel si fragile, il est peu probable que les échelons ne présentent pas des marques, suite au poids du corps.

Le directeur de l’hôtel Majestic à New York indique que Hauptmann n’est pas venu travailler le jour de l’enlèvement et présente un registre des paies, qui sent la manipulation à grande échelle. Pourquoi celui-ci avait-il déclaré quelques mois auparavant que Hauptmann était bien à son travail ?

Enfin la police atteste qu’il n’y avait qu’une seule empreinte de pas, alors qu’auparavant il y en avait deux ! Et que l’échelle était suffisamment solide pour supporter le poids d’un homme sans l’aide d’une tierce personne pour la tenir. Ce qu’elle avait démenti au début de l’affaire !

Quand à l’avocat de la défense, il se mure presque dans le silence, plaidoyant uniquement la réinsertion réussie de Hauptmann depuis son arrivée sur le sol américain.

Autant dire que tous ces revirements de situation enfoncent de plus en plus Hauptmann. Dans un dernier sursaut, l’accusé plaide encore et toujours son innocence, en espérant la clémence du jury, mais après seulement huit heures de délibération, Hauptmann est reconnu coupable de meurtre et condamné à la chaise électrique. Il sera exécuté le 3 avril 1936, malgré les doutes du gouverneur du New Jersey qui ne put convaincre la Cour Suprême de faire réviser le procès.

Epilogue

Comment a-t-on pu atteindre pareille parodie de justice dans un pays qui se veut libéral et impartial ? Fallait-il que l’on trouve le coupable idéal ? Comment a-t-on pu mentir pareillement au sein même de cette institution ? Et surtout comment a-t-on pu condamner un homme si facilement avec de telles preuves indirectes ?

Certaines questions resteront toujours en suspens. Notamment celle de l’échelle qui me paraît complètement loufoque. Pourquoi un menuisier irait-il ôter des lamelles du plancher de son grenier pour confectionner une échelle, alors qu’il a tout le matériel à disposition dans sa remise ? Pourquoi la police n’a-t-elle pas suivi la piste de Geissler et approfondi ses recherches ? Pourquoi n’a-t-elle pas non plus fouillé dans le passé de Isidor Fisch et rechercher des éventuelles connexions avec le milieu de l’escroquerie ? Pourquoi le tribunal n’a-t-il pas entendu les ouvriers du Majestic qui auraient pu certainement apporter la preuve que Hauptmann était bien au travail après le revirement du directeur ? Comment a-t-on osé proposer un avocat qui avait un parti prit dans cette affaire, et qui était tout sauf impartial ?

Enfin et surtout, on a encore retrouvé des billets certifiés après la mort de Hauptmann, mais ceux-ci ont été délibérément brulés par le FBI pour éviter tout scandale.

Il semble qu’il fallait trouver rapidement un coupable après deux ans d’enquête infructueuse. Hauptmann était le parfait pigeon avec l’argent, l’accent germanique et son métier de menuisier. Même si l’on ne pouvait l’accuser directement, il fallait faire en sorte qu’on y arrive, en falsifiant certaines données et en tâchant de trouver

 

 des stratagèmes pour le faire condamner. Tout le monde aurait été content et le héro de la nation aurait été vengé.

Hauptmann avait-il quelque chose à voir dans cette affaire ? C’est aussi possible, mais certainement indirectement ou sans le savoir. Il est possible qu’il ait confectionné l’échelle pour une tierce personne et peut-être écrit la lettre de rançon. Mais je doute qu’il se soit laissé tenter par une telle entreprise.

 

Dollar certifié