La Comtesse Bathory

La seule évocation du nom de Bathory donne des frissons dans le dos. Cette comtesse hongroise qui vécut à la fin du 16e siècle et au début du 17e aurait été une des plus prolifiques tueuses en série de l’histoire. Sanguinaire et violente, elle se prélassait dans des baignoires remplies du sang de ses victimes. Mais au-delà de l’histoire terrifiante qui entoure cette femme, qui était-elle vraiment ? Les récits sont-ils véridiques ou font-ils partie de la légende ? Du mythe à la réalité, qu’en est-il vraiment ?

Elisabeth bathory copie 1

Elisabeth Bathory

Elisabeth Bathory (Erzsébet en hongrois) est née le 7 août 1560 à Nyirbator en Hongrie. Elle est issue de la noblesse hongroise, puisqu’elle est la nièce d’Etienne de Bathory, Prince de Transylvanie et futur Roi de Pologne et sœur d’André, gouverneur de Transylvanie pour les Habsbourg. Son enfance est plutôt courte puisqu’à 11 ans, elle est déjà promise à Ferenc Nadasdy, baron puis comte hongrois au service des Habsbourg. Le mariage est célébré alors qu’elle n’a que 15 ans et elle reçoit comme dot le château de Cachtice dans les Carpates. Ferenc Nadasdy est nommé chef des troupes hongroises alors qu’il n’a que 23 ans. Elisabeth, elle, n’en a que 18. Cette nomination entraîne bien évidemment une désertion du château de Ferenc, qui, à cette époque, doit combattre les troupes de l’Empire Ottoman. Autant dire qu’Elisabeth est livrée à elle-même dans cette grande bâtisse. Elle doit donc prendre les choses en main, afin de gérer le château et par la même occasion la région et ses domaines. Cultivée, Elisabeth parle et écrit en six langues. Certains écrits rapportent qu’elle gérait de main de maître la région et qu’elle intervenait régulièrement pour aider les pauvres et les nécessiteux. En 1585 elle donna naissance à son premier enfant. En suivront cinq, dont seuls trois survivront. Les décès de deux de ses enfants n’ont rien à voir avec de la maltraitance, bien au contraire. Un mourut à la naissance et l’autre de mort subite. Sur ce point, les témoignages s’accordent pour dire qu’Elisabeth était une très bonne mère.

Le mari d’Elisabeth décède en 1604, et c’est en 1610 que l’affaire Bathory sort au grand jour. Son rang social lui permettra d’éviter la condamnation à mort. Par contre elle sera assignée à résidence dans une pièce de son château, où elle mourra en 1614.

Le contexte géopolitique

Il faut savoir qu’à l’époque le royaume hongrois est assez vaste. Il englobe l’ouest de la Roumanie, le sud de la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et une partie des territoires de l’ex yougoslavie. Au sud le royaume hongrois est talonné par l’empire ottoman qui s’arrête sur une ligne qui va de la Bosnie à la Bulgarie. Dans ce contexte un peu tendu, le royaume a besoin d’alliances et de soutiens pour éviter la poussée des turques. C’est pour cette raison que les Bathory sont des fervents défenseurs des Habsbourg et par conséquent de l’empire germanique. Le mari d’Elisabeth, nommé chef des armées hongroises, est donc très souvent sur le front. Il est surnommé le Chevalier Noir de part sa manière très belliqueuse d’affronter ses ennemis.

Carte

Ce que l’on sait moins, c’est que la comtesse n’est pas une fervente de la domination germanique. Elle n’a jamais pu accepter cette main mise sur le royaume, suite à la cuisante défaite hongroise en 1526 face aux Ottomans. Une partie du royaume à l’est est donc administrée par les turques et l’autre par les hongrois via le Saint Empire germanique. Même si ce petit cours d’histoire est un peu barbant, il est nécessaire pour comprendre certains faits que nous verrons ultérieurement.

L’affaire Bathory

L’affaire Bathory débute en 1604, lorsqu’un pasteur luthérien hongrois dénonce à la cour de Vienne des agissements plutôt sombres de la comtesse. On parle alors de maltraitance des servantes, de tortures et de brutalités. Il semble que des langues se délient suite à la disparition des nombreuses jeunes filles de la région. Les rumeurs vont bon train et il semble que la comtesse soit au centre de l’attention. Il faudra attendre 1610 pour que Matthias 1er du Saint-Empire charge le Palatin de Hongrie György Thurzò de faire la lumière sur le cas Bathory. Pourtant avant le résultat de l’enquête, Thurzò va prendre contact avec la descendance et la famille de la Comtesse, afin de négocier une sorte d’accord. Il est clair qu’une condamnation et par conséquent une exécution amèneraient de gros préjudices sur une famille influente de la noblesse hongroise. De plus, tous les biens et les richesses des Bathory auraient été confisqués par la couronne. De ce fait, la famille n’a plus d’autre choix que d’accepter cet accord. La comtesse, en cas de condamnation, serait donc assignée à résidence jusqu’à la fin de ses jours.

Thurzo

Thurzò a récolté près de 300 témoignages entre 1610 et 1611. Ceux-ci accusent non seulement la comtesse, mais également 4 personnes au service des Bathory. On recense notamment :

  • Passage à tabac entraînant la mort
  • Brûlures à divers endroits du corps
  • Morsures et mutilations
  • Dénutrition jusqu’à la mort
  • Exposition à des températures extrêmes

La comtesse engageait de jeunes paysannes à son service pour les tâches domestiques. Elle savait pertinemment que les adolescentes ne pouvaient refuser. C’était une chance unique pour ces jeunes femmes d’être nourries, logées et blanchies. Et d’éviter par conséquent le travail harassant des champs. Elle en profitait donc pour exercer une domination totale sur ses sujets.

Un jour, alors que la comtesse se faisait coiffer, une servante eut le malheur de lui arracher quelques cheveux par mégarde. Elisabeth Bathory lui asséna alors une violente gifle du revers de la main au visage qui la fit saigner. Quelques gouttes coulèrent sur les doigts de la comtesse, qui remarqua aussitôt que le sang agissait alors comme un baume revitalisant. Et oui, c’était Oil of Olaz avant l’heure !!! Bref cette anecdote fit prendre conscience à la comtesse que le sang pouvait lui rendre sa jeunesse, et à partir de ce moment commença la vague de terreur de la comtesse sanglante.

Mutilations, barbaries, morsures et bains avec le sang des ces jeunes paysannes. Mais bientôt son appétit insatiable la poussa à se fournir avec de jeunes vierges issues également de la noblesse.

Selon les témoignages, on parle de 100 à 200 jeunes femmes qui auraient trépassé dans les différents châteaux de la comtesse. Lors de sa condamnation, Thurzò attesta qu’un carnet appartenant à Elisabeth Bathory mentionnait 650 victimes. Seulement, personne d’autre que Thurzò n’a vu ce carnet, et il a, comme par hasard, disparu.

Bain de sang 2

Le vrai et le faux ?

Ce qui est avéré, c’est la rudesse de la comtesse envers ses domestiques. Vrai encore son insatiable envie de repousser la vieillesse. C’était une belle femme, extrêmement coquette et qui ne supportait pas les rides. Mais il faut aussi tenir compte du contexte. Dans ces périodes de troubles, les châtiments et la violence n’étaient pas rare. Son mari étant connu pour être diablement belliqueux, il n’en faut pas plus pour que la comtesse emboîte le pas de son époux. Et il n’est certainement pas impossible que la comtesse ait du sang sur les mains, mais jusqu’à quel point ? Par contre on n’est pas en mesure d’expliquer quel fut le déclencheur de ce sadisme. Plusieurs hypothèses ont été émises, à savoir : maladie, sureté du pouvoir, traumatisme ou usage de drogue. Celle qui retient particulièrement l’attention est l’usage de drogue. En effet la comtesse avait une tante dans sa famille, reconnue comme étant une sorte de sorcière. Pas dans le sens strict du terme, mais on sait qu’elle était familière avec les potions et les élixirs de toutes sortes. Il n’est donc pas exclu que la comtesse ait abusé d’élixirs de jouvence préparés par sa tante. Malheureusement rien ne permet de le prouver, si ce n’est l’existence de cette tante.

Les témoignages recueillis sont également véridiques, mais, car il subsiste un mais d’importance, tous ceux-ci ont été principalement recueillis sous la torture et l’intimidation. De nombreuses preuves ont été retrouvées indiquant que Thurzò et ses compères ont extorqué une pléiade d’aveux sous des formes peu scrupuleuses. Souvent les témoins avouaient tout et n’importe quoi pour éviter d’interminables supplices.

Les bains de sang quant à eux ne sont que des mythes qui ont perduré dans le folklore local, et particulièrement aux 18e et 19e siècles. En fait, c’est en 1729 qu’un jésuite du nom de Laszlò Turòczi publie pour la première fois un écrit sur la comtesse Bathory, où il y indique ces faits estimant que la vanité due à son rang social était la principale cause de cette dérive. On ne pouvait pas croire qu’une femme puisse être capable de violence gratuite. En 1817, lorsque des témoignages retrouvés en 1765, sont publiés, ils rejettent totalement les histoires de bains de sang. Néanmoins ils resteront dans l’imaginaire populaire jusqu’à aujourd’hui.

La théorie de la conspiration

En 1984, l’historien hongrois Laszlò Nagy avance une théorie qui présente la comtesse Bathory comme victime d’une conspiration. Il pense que la comtesse avait un gros ressentiment quant à la régence de l’empire germanique sur le royaume de Hongrie. Elisabeth Bathory avait soif de redorer le blason du pays après la cuisante défaite des armées hongroises face aux Ottomans, et n’acceptait pas cette soumission. La comtesse était une femme de principes et possédait une forte personnalité. Dès lors cette pseudo rébellion n’était pas du goût de tout le monde, et Elisabeth présentait un danger pour la stabilité et les alliances. Il semblerait donc que les crimes horrifiques aient été inventés de toute pièce par la famille afin de freiner les ardeurs de la comtesse, et qu’elle ne soit pas condamnée pour trahison mais pour un crime de droit commun. En cas de procès pour trahison, tous les biens et les propriétés risquaient d’être substitués aux héritiers et confisqués. L’accord signé avec Thurzò permettait à la descendance de la comtesse d’être à l’abri d’éventuelles confiscations. Elisabeth était assignée à résidence et les disparitions de jeunes filles, qui n’avaient certainement rien à voir avec la comtesse, étaient élucidées, histoire de calmer les esprits.

Alors qu’en est-il ?

Malheureusement et n’en déplaise aux amoureux du gothisme morbide ou des fans de Dracula et consort, la comtesse Bathory n’a pas été aussi cruelle qu’on le raconte. Certes, elle était certainement très stricte et probablement a-t-elle du sang sur les mains, mais qui n’en avait pas à l’époque. N’oublions pas qu’elle était pratiquement seule à gérer une région et plusieurs demeures conséquentes. Il était nécessaire d’avoir une certaine rigueur pour administrer un tel pavé en tant que femme.

Ce qui est étrange dans cette histoire, c’est qu’étonnement le cas Bathory débute l’année du décès de son époux Ferenc. Bizarre coïncidence quand même. Ferenc combattait pour la Hongrie et par conséquent pour l’empire germanique. Il était donc un fervent des Habsbourg. Ce qui n’était pas le cas de la comtesse. Avec la mort de son époux, Elisabeth héritait des terres, des domaines et de la gestion à 100%. Son anti conformisme a certainement dérangé beaucoup de personne haut placées et même probablement dans sa propre famille. Dès lors, il n’est pas impossible qu’on ait cherché à la déstabiliser et la faire condamner pour des crimes de droits communs. Non seulement, elle serait assigné à résidence, mais en plus toutes les richesses ne seraient pas saisis. Et quoi de mieux de lui faire porter le chapeau pour ces disparitions, en agrémentant le tout avec des mythes et légendes.

Les crimes dont elle serait coupable n’ont jamais été prouvés. Aucune trace et aucun écrit n’ont été retrouvés indiquant la culpabilité de la comtesse Bathory. Seule une lettre adressée à Thurzò a été découverte dans des archives de Budapest mentionnant l’enquête qu’il devait effectuer sur Elisabeth. Bien sur dans un autre registre, on ne peut pas non plus prouver le contraire, mais il est peu probable qu’elle soit la meurtrière sanguinaire qu’on pense.

Le Château de Cachtice

Chateau de cachtice

Aujourd’hui le château est en ruine et interdit au public pour des raisons de sécurité. Il est actuellement en restauration. Cet ouvrage fût pris et pillé en 1708 par des rebelles hostiles à Ferenc II. C’est dans ces murs que la comtesse Bathory a passé la plupart de son existence. C’est également dans ces murs qu’elle fut assignée à résidence et qu’elle passa 4 années emprisonnée dans une simple chambre. La légende est tellement ancrée dans l’imaginaire populaire que les habitants du village estiment que le château est hanté par l’esprit d’Elisabeth.

Pour l’anecdote, sachez qu’un film slovaque à gros budget « La Comtesse » a retracé la vie d’Elisabeth Bathory. Réalisé et interprété par Julie Delpy en 2011, ce film a été relativement bien salué par la critique. Dans le monde musical, de nombreux groupes de métal se sont inspiré de l’histoire de la comtesse, tels que Aiden, Tormentor ou Venom.

La comtesse film

 

Venom