La tragédie du vol Korean Airlines 007

Le 1er septembre 1983, un boeing 747 de la Korean Airlines est abattu par un chasseur SU-15 de l’armée soviétique au large de l’île de Sakhaline, entraînant dans la mort les 269 passagers et membres d’équipage. Tout le monde pointe du doigt l’Union soviétique et des drapeaux de l’URSS sont brûlés sur les places de Séoul. Cet acte risque de sérieusement compromettre les relations est-ouest et on redoute des représailles de la part des Etats-Unis. Pourtant de nombreuses zones d’ombres et des informations erronées entourent ce tragique incident.

 

Boeing 747 Korean Airlines

 

Les faits

Le Boeing 747 décolle de l’aéroport de New York pour se rendre à Séoul via Anchorage en Alaska, où il est ravitaillé en carburant. Au départ d’Anchorage, le commandant de bord Chun-Byung-In, un pilote expérimenté et strict, doit suivre une route appelée « Roméo 20 » qui longe les côtes soviétiques à environ 300km de celles-ci sur les eaux internationales. Cette voie est parsemée de points de repères pour éviter une éventuelle déviance et un risque d’approcher de trop près les côtes soviétiques. Ces points de repères sont introduits dans un système appelé « INS » à bord de l’appareil, qui clignote pendant deux minutes lorsque l’avion s’éloigne de la trajectoire prévue. Le système « INS » est fiable au kilomètre près.

 

Chun-Byung-In

 

L’avion décolle d’Anchorage et s’écarte du premier point de repère à 70km au nord, pourtant Chun communique qu’il a dépassé le point et qu’il suit la trajectoire prévue. Puis le commandant n’avertit pas son passage au deuxième point (ce qui est en soi une sérieuse entorse aux procédures aériennes) et s’écarte toujours plus de la voie initiale. Il se situe à 270km à l’ouest et risque de pénétrer dans l’espace aérien soviétique au dessus de la péninsule du Kamtchaka. Ce qui ne manque pas bien entendu. Heureusement pour lui, les soviétiques n’ont pas eu le temps de mettre en place un plan d’interception, puisque le boeing retrouve l’espace aérien international après avoir survolé la péninsule. Mais ce n’est que partie remise, car il s’éloigne toujours plus de la trajectoire et risque de retrouver l’espace aérien soviétique en passant sur l’île de Sakhaline. Le problème est que cet endroit est une zone bourrée d’emplacements militaires stratégiques, avec notamment des sous-marins de la classe « Typhons » et une batterie de radars. Les soviétiques sont en alerte et ne se laisseront pas violer une seconde fois leur espace aérien. Malheureusement l’avion file tout droit vers le danger et commence à survoler l’Ile de Sakhaline. Deux chasseurs prennent en filature le boeing et tente d’entrer en contact avec l’intrus sur la fréquence internationale, mais aucune réponse. Ils envoient alors des obus traçants qui ne font pas plus d’effet. L’avion fait alors une double boucle. Une première à l’ouest, puis une deuxième à l’est. A 18h24, Vassili Kazmin, pilote d’un SU-15 reçoit l’ordre d’abattre la cible en envoyant un missile air-air qui frappe le boeing sur une aile. L’avion, suite à la dépressurisation, entame une descente en boucle et sort des écrans radar à 18h29 en passant au-dessous de 5'000 pieds. Il s’écrase en mer à la limite des eaux territoriales soviétiques.

 

Itinéraire

 

Comment les soviétiques ont-ils pu frapper un avion commercial ?

Tout d’abord, en 1978 un problème similaire s’était déjà produit avec un boeing 707 de cette même compagnie, seulement les soviétiques avaient forcé l’avion à se poser sur un lac gelé. On avait déploré deux victimes et quelques blessés.

Il faut savoir que l’espace aérien international n’est qu’à 200km des côtes du Kamtchaka et de l’île de Sakhaline. De plus cet endroit est truffé de bases militaires. Il est compréhensible que les soviétiques soient en alerte 24 heures sur 24. Qui plus est, les Etats-Unis n’hésite pas à chatouiller cet espace aérien avec des avions de reconnaissance et notamment le RC-135, qui est un boeing 707 reconverti pour des missions de surveillance, en faisant des boucles en huit, violant régulièrement l’espace aérien soviétique. Curieusement au moment du passage de l’avion de la Korean Airlines, un RC-135 était en mission de surveillance, si bien que les deux trajectoires ont fusionné l’espace de 10 minutes sur les écrans radar. Il est donc fort probable que les soviétiques aient pris l’avion de ligne pour un RC-135. De plus, la visibilité n’était pas trop bonne, il faisait nuit, donc impossible aux chasseurs de vérifier visuellement avec certitude la nature de l’avion ennemi. Enfin pour accroître le problème, il est normal que le boeing n’ait pas pu répondre aux appels de Kazmin, puisqu’il ne possède pas de fréquence militaire internationale. Quand aux obus traçants, les soviétiques ont admis plus tard qu’ils n’avaient lancé que des obus classiques sans traceurs. Tous ces malheureux incidents ont fait que 270 civils ont trouvés la mort tragiquement.

L’annonce du crash et les explications

Quelques heures après le crash du boeing, Washington envoie un communiqué de presse, précisant que l’appareil s’est posé sur l’île de Sakhaline et que tous les passagers sont sains et saufs. Comment peuvent-ils envoyer un tel communiqué, alors qu’aucune recherche n’avait été encore entreprise ? Puis vers minuit, soit 6 heures après le crash, Washington dément la première information en annonçant la destruction de l’appareil par les soviétiques. Ronald Reegan, alors président, fustige l’URSS qu’il traite d’empire du mal, etc, etc. Il faut dire, que cela tombe à pic, puisqu’il est en pleine négociation avec des pays européens pour installer des missiles à longue portée, et qu’il est contre un rapprochement est-ouest concernant la réglementation des armes atomiques.

Cette erreur incompréhensible dans le communiqué de presse aura eu comme conséquence de retarder de près de 6h le début des recherches de l’épave et des boîtes noires. Car les soviétiques, eux, sont déjà sur place et les ont récupérés, même s’ils semblent tourner en rond en faisant croire qu’ils n’ont rien trouvé.

L’opinion publique veut des explications des soviétiques. Comment un tel drame a-t-il pu se produire ? Mais l’URSS se mure dans le silence. Le 6 septembre, à l’ONU, les Etats-Unis produisent un enregistrement des voix du pilote du SU-15 et de son supérieur à terre. Cette cassette prouve à toute l’assemblée que les soviétiques ont délibérément abattu l’avion civil. Seulement les transcriptions ont été manipulées et la traduction est très approximative. Quelques jours plus tard, les USA avouent qu’il y a eu des erreurs dans la traduction.

C’est seulement 6 jours plus tard que le Colonel Ogarkov donne une conférence de presse en expliquant notamment la trajectoire déviante du boeing et la probable confusion avec un appareil de surveillance. Mais ces explications ne suffisent pas aux yeux des coréens et des USA, qui continuent de fustiger les soviétiques. Ils veulent des responsables et des accès à certains documents que les soviétiques refusent de donner.

 

 

Les mystères entourant cette affaire

Tout d’abord, comment un commandant de bord, aussi expérimenté (80 vols entre New-York et Séoul) et reconnu comme très rigide, a-t-il pu suivre cette voie aussi dangereuse ? Comment n’a-t-il pas pu voir les alarmes du système « INS » ? Et comment a-t-il pu donner de fausses indications sur sa position et omettre d’informer son passage sur un point de repère ? Pour un homme de sa trempe, il est difficilement concevable de faire autant d’erreurs. Même si le système « INS » était débranché (ce qui est fort peu probable, quand on connait la route qu’il devait emprunter) et qu’il volait en pilote automatique (selon un rapport de l’organisme de l’aviation), il aurait dû remarquer sa mauvaise position, ne serait-ce que par le biais de son navigateur.

Certain avance l’hypothèse d’une économie de carburant. Seulement l’économie réalisée n’aurait été que de 20'000 dollars ! Trop peu pour prendre autant de risques.

Autre mystère non élucidé : La tour de contrôle de Tokyo aurait reçu un appel provenant du boeing 747 sur une fréquence normale vers 19h00. Or à cette heure-là l’avion avait déjà sombré dans les eaux. De plus, s’il s’était avéré que cet appel provenait du boeing en perdition, la tour aurait reçu un appel sur la fréquence d’urgence et non sur la normale. Donc, qui a pu envoyer ce message ? Serait-ce cet autre boeing 707 de la Korean qui volait à une demi-heure d’intervalle ? Et pourquoi se serait-il fait passer pour le 747 ?

Etonnement l’avion a disparu des écrans radar à deux heures différentes. Les japonnais ont indiqué 18h29 et les Etats-Unis 18h38. Comment peut-on expliquer cette différence ?

Les américains qui se sont rendus sur les lieux du crash n’ont pas réussi à retrouvé l’épave du boeing qui gisait à 800m sous l’eau. Ce qui est quand même étonnant, puisque deux ans plus tard, ils arrivent à retirer une épave d’un 747 d’Air India qui se trouvait à 2’000m sous l’eau. Les soviétiques ont avoué avoir retiré les boîtes noires mais pas l’épave. D’ailleurs ces boîtes noires ont été restituées en 1993, mais il semblerait qu’elles aient été trafiquées. De plus, d’après certaines sources, une partie de l’épave ait été traînée par un chalutier qui passait dans la zone.

Enfin et surtout pourquoi les Etats-Unis ont envoyé ce faux communiqué de presse si rapidement avant de le démentir ? Dans quel but ? Si ce n’est de retarder les recherches !

Epilogue

D’après certains écrivains qui ont suivi cette affaire, il suspecte les Etats-Unis d’avoir demandé au commandant Chun d’effectuer une mission de reconnaissance civile au-dessus du Kamtchaka et de Sakhaline, afin de mesurer la rapidité de réaction de l’armée soviétique et l’efficacité de leurs radars. Ce qui aurait expliqué les deux boucles que le pilote aurait fait au-dessus de Sakhaline et ces désinformations des Etats-Unis. Seulement aucunes preuves ne permettent d’étayer cette affirmation. Seul, le commandant Chun aurait pu nous répondre, mais il a gardé son secret dans sa tombe.

Un autre rapport d’un journaliste du magazine « Izvestia » sorti en 1990, indique qu’il est peu probable que les soviétiques ait fait une aussi grosse erreur de jugement. Ce journaliste avait recueilli le témoignage d’un des pilotes des SU-15, Gennadij Osipovitch, qui confirmait que pendant cette période, les américains violaient fréquemment leur espace aérien avec des RC-135 , et qu’ils faisaient des huit, afin de débusquer leurs batteries de radars, qui ne fonctionnaient pas en continu. Avec ces manœuvres en huit, ils obligeaient les soviétiques à rallumer leurs radars sans cesse. Une vraie guerre des nerfs, qui obligeaient les pilotes au sol à être sans arrêt en alerte. Donc, étant donné que la trajectoire du boeing était droite, comment auraient-ils pu confondre le 747 avec un RC-135 ? Osipovitch déclare également qu’il est persuadé que le boeing a aperçu les chasseurs, car après les coups de semonce et les appels de « phares », l’appareil a subitement ralenti de 1’000km/h à 400km/h, mais n’a pas changé de cap. Du coup les SU-135, qui ne peuvent voler si lentement étaient, soit obligés de décrocher, soit obligés de tirer.

 

RC-135

 

Un rapport de l’OACI (Organisation Aérienne Civile Internationale) de 1993 classe l’affaire et rendant l’URSS et le Commandant Chun responsables de la tragédie. L’URSS, pour sa décision de frapper un avion civil sans avoir fait le nécessaire au préalable. Et les pilotes du boeing pour leurs erreurs répétées et le non-respect de certaines règles de base. De toute façon, il ne pouvait en être autrement, non ?

Certaines sources indiquent également que les propriétaires de la compagnie aérienne coréenne auraient eu des liens avec la CIA. Car ceux-ci auraient fait fortune en ravitaillant les troupes américaines lors du conflit de Corée. Cependant aucunes preuves n’ont pu être fournies quant à ces allégations.

Une chose est sûre, les Etats-Unis se sont pas tout blanc dans cette histoire… !