Entrevue avec le responsable de l'enquête sur Omar Raddad

 Avant toute chose, je souhaite remercier infiniment M. Georges Cenci pour m’avoir accordé cette entrevue. Il s’est prononcé sans tabous, ni langue de bois n’a pas hésité un instant à répondre à mes questions, malgré la notoriété de cette affaire. Il aurait très bien pu refuser, après toutes les fausses déclarations et les manipulations qui ont émaillé cette histoire, mais il s’est confié avec générosité et simplicité. Merci Monsieur Cenci.

Vous démontrez dans votre livre « Omar l’a tuée » la culpabilité sans faille d’Omar Raddad avec preuves à l’appui et documents judiciaires. Comment se fait-il alors qu’il y ait eu un tel battage médiatique dans une affaire qui n’aurait habituellement alimenté que la rubrique des faits divers ?

Nul doute que si des faits identiques s’étaient déroulés dans un village reculé de notre beau pays de France, que la victime ait été «madame tout le monde» et le meurtrier présumé, un brave homme de la localité, vous n’auriez eu droit qu’à quelques lignes dans votre quotidien. Mais dans cette affaire tous les ingrédients étaient réunis pour exciter la curiosité de l’opinion, faire vendre du papier, de l’image et de l’émotion : La Côte d’Azur, la baie de Cannes, Mougins, la prétendue riche héritière des accessoires Marchal, le mystère de la chambre jaune, les messages écrits avec le sang de la victime, un suspect qui clamait son innocence et qui n’avait pas la tête d’une brute. Bref tous ces éléments ont donné à la presse les ingrédients nécessaires à un battage médiatique, et surtout leur ont permis d’écrire tout et n’importe quoi.

Ce ce que je démontre dans mon livre publié en 2003 « OMAR L'A TUEE – Vérité et manipulations d'opinions », c’est la culpabilité du meurtrier, le rôle des avocats et de la presse dans la manipulation de l’opinion publique, il est «très médiatiquement incorrect». Cependant il restera inscrit, comme me l’ont écrit plusieurs juristes, dans l’histoire de ce meurtre. C’est le livre référence opposant la vérité judiciaire à la pseudo vérité avocato-médiatico-financière. Je dois aussi vous dire que ce livre est commenté par quelques journalistes scrupuleux – qui, eux, ne se prennent pas pour des juges – comme dérangeant, à contre-courant des idées reçues.

Vous n’avez jamais eu de doute quand à la culpabilité d’Omar Raddad ?

Ma conviction ne s’était pas forgée le premier jour bien évidemment mais, après dix mois d’enquête, lorsque j’ai remis le dossier au juge d’instruction, j’étais persuadé de la culpabilité d’Omar Raddad. Aujourd’hui, je le suis toujours autant, comme tous les nombreux et hauts magistrats qui se sont prononcés sur le dossier.

Dans chaque affaire, quelle qu’elle soit, l’enquêteur se forge une intime conviction tout au long de ses investigations. Il en va dans celle-ci comme dans toutes celles que j’ai dirigées. Et la conviction de l’enquêteur doit être motivée et caractérisée par l’absence de préjugés et l’appréciation équilibrée des éléments de preuve. Et j'ai la naïveté de croire que la conviction d’un enquêteur dont la mission principale est de rechercher la vérité vaut au moins autant que celle d’un avocat qui soutient l’intérêt de son client. Plus encore plus lorsque les thèses de celui-ci sont en constante géométrie variable. La recherche de la vérité ne s’inscrit pas, pour un directeur d’enquête, dans une démarche stratégique mais dans le respect strict des règles de la procédure pénale et des faits constatés, découverts et vérifiés.

Quel serait le mobile du meurtrier ?

J’ai écrit dans mon rapport de synthèse, j’ai déclaré à la barre de la Cour d’assises de Nice que, selon les données de l’enquête, Raddad n’était vraisemblablement pas venu pour tuer Mme Marchal. Il venait, une énième fois, demander une avance sur salaire pour assouvir son démon du jeu. C’est seulement devant le refus de Mme Marchal qu’il l’avait tuée et s’était emparé de l’argent qu’il savait où trouver. Ce n’était pas un crime prémédité, c’était un meurtre spontané.

Je dois préciser qu'entre son image télévisuelle de saint homme persécuté par la justice et sa véritable personnalité, il y a un monde. Lors de l’enquête criminelle nous avions face à nous un homme rusé, malin, atypique apparemment doué d’impassibilité et de maîtrise. Pourtant lorsqu’on lui résistait, il pouvait devenir furieux tel que l’ont démontré par exemple le témoignage d’une prostituée et un incident en détention.

Ses pérégrinations médiatiques depuis 20 ans démontrent, lorsque l’on connaît les charges qui pèsent sur lui, qu’il est un meurtrier cynique et hypocrite. Dans le cas d’espèce, sa prétendue innocence est l’illustration d’une imposture et d’un parfait cynisme encouragé à l’extrême par une déplorable évolution des mœurs socio-médiatiques. En parfait comédien, il simule et dissimule ses sentiments et cherche à donner de sa personne morale, une image parfaite. Il est vrai qu'il avait courageusement, dans la force de l’âge, tué sauvagement une personne âgée !

Dans votre livre, vous critiquez ouvertement la désinformation que les médias ont véhiculé dans cette affaire, mais vous vous attaquez aussi avec virulence à l’avocat Maître Vergès, qui a, semble-t-il, été plutôt médiocre au procès ?

Maître Vergès a sauté sur une nouvelle occasion de se faire une publicité royale avec Omar Raddad. Après les doutes qui étaient apparus aux yeux des journalistes, il a saisi la balle au bond. Preuve en est, il ne s’est penché sur le dossier que trois jours avant le procès. Dans ce cas, il lui était impossible de lire les 6 volumineux dossiers de l’enquête, ainsi que toutes les pièces de procédure. Me Vergès a tenté désespérément des effets de manche qui n’ont pas pris pendant le procès. Les magistrats ne sont pas tombés dans le panneau et certain ne se sont pas gênés de lui rétorquer sa mauvaise connaissance des pièces de l’enquête. Les premiers avocats de Raddad qui avaient plaidé, créaient et répandaient devant micros et caméras l’idée de l’erreur judiciaire, ce que Me Vergés ensuite avait entretenu puis amplifié en présentant son client comme un martyr des gendarmes et des juges. Il faut dire que Raddad, comme plusieurs journalistes me l'ont avoué, était rapidement devenu pour eux un excellent produit marketing. Me Vergès a été vaillant dans la salle des pas perdus et face aux caméras, mais dans la salle de tribunal, il fut plutôt mauvais et aux abonnés absents.

L’information à grand spectacle a cependant conservé des zones d’ombre dont vous pourrez constater l’opacité et l’épaisseur à la lecture de mon livre. Si la presse a été souvent prolixe pour critiquer les institutions et les hommes libres et probes qui les servent, elle est curieusement restée fort discrète lors de procès en diffamation qui ont vu la condamnation de journalistes du Nouvel Observateur, du petit homme vert, l'académicien Jean-Marie Rouart, l’Immortel bâtisseur d’innocence ; de Roger-Marc Moreau, l’inénarrable détective privé, spécialiste des ragots du café du commerce et Christophe Dechavannes qu’on ne présente plus. Ces poursuites en diffamation pour que Justice soit rendue à l’honneur d’un homme, Christian Veilleux, et d’une famille honorable, injustement outragés, ont bénéficié d’un consensus d’extrême discrétion confinant au silence sidéral médiatique.

N’avez-vous pas une certaine frustration et un sentiment d’injustice de n’avoir pas pu faire de déclarations pendant le déroulement de cette affaire avec votre devoir de réserve ?

Il n'est pas dans le rôle d'un directeur d'enquête de se répandre dans les médias car nous sommes soumis - et c'est très bien ainsi - au devoir de réserve, au secret de l'enquête et de l'instruction. Par contre j'ai toujours regretté que la partie civile n'ait pas en quelque sorte fait le "pendant" de la défense. On ne l'a pratiquement jamais entendue. Elle en avait les moyens avec un avocat comme Me Leclerc mais c'était sa décision et je la respecte. De ce fait c'est la défense et les "détectives" stipendiés par elle qui ont maîtrisé l'information. Et cela dure depuis 20 ans ! Et ce n'est pas fini. Tant que le robinet du fric n'est pas fermé !

Je suppose que vous avez dû faire face aux critiques des médias, de la défense et des comités de soutien pendant 20 ans. On ne s’en sort pas indemne psychologiquement parlant ? Et aujourd’hui comment vous sentez-vous ?

J'ai subi des critiques des médias qui relayaient les thèses abracadabrantes des avocats de la défense - ce qui n'était pas du tout déstabilisant vu les âneries étalées - mais aucune pression de qui que ce soit pour orienter mon enquête (magistrats, hiérarchie, défense, partie civile ou autres groupes de pression traditionnels...)

L'affaire date de 1991 et je n'ai été libéré de mon devoir de réserve qu'en février 2002 date à laquelle j'ai été admis à faire valoir mes droits à la retraite. Pendant toutes ces années, j'ai ressenti une profonde frustration de ne pouvoir m'exprimer et ainsi répondre aux attaques des avocats relayés par leurs complices, je veux parler des médias ; qui prétendaient que l'enquête que j'avais dirigée était bâclée, mal ficelée, que j'avais travaillé uniquement à charge etc... Il n'était pas question pour moi - et c'est toujours d'actualité - de rendre compte de mon enquête sur les plateaux de télévision, ou devant micros et caméras. Par contre je l'ai fait, très longuement, dans mon rapport de synthèse et à la barre de la Cour d'Assises de Nice où le grand Vergés est resté particulièrement éteint après mon audition par le président : 2 heures à la barre pour présenter mon enquête. Je devais avoir des choses à dire ! Et Vergés rien à contester. Il sera plus brillant dans la salle des pas perdus lorsqu'il haranguera la foule. Et je constate que, depuis, l'enquête que j'ai dirigée n'a jamais été contredite par aucune instance judiciaire : Chambre de mise en accusation de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence (décision de renvoi devant la Cour d'Assises) ; Cour d'Assises de Nice (arrêt de condamnation) ; Cour de Cassation (rejet du pourvoi en cassation) ; Cour de Révision des condamnations pénales de la Cour de Cassation (arrêt de rejet de la requête en révision) et enfin Cour Européenne des Droits de l'Homme (deux arrêts de rejet à unanimité de ses membres).

Libéré de mes obligations, je me suis exprimé par la voix du livre lequel s'inscrit dans l'histoire de ce meurtre et survivra aux manipulations auxquelles nous assistons depuis 20 ans. "La parole est serve les écrits restent".'' Sans mon entourage familial solide, sans l'appui de juristes de haut rang j'aurais peut-être été affecté davantage. Je suis moralement assez fort pour résister à ce genre de pression psychologique.

Un film a été réalisé tout récemment par Roschdy Zem sur l’affaire Raddad, où il prend objectivement la défense d’Omar. Quel est votre sentiment par rapport à ce film ? Pensez-vous qu’il risque d’ouvrir à nouveau certaines plaies ?

Monsieur Zem avait bien évidemment le droit de réaliser un film sur cette affaire. C'est une fiction « médiatiquement correcte ». Seulement une fiction. Ce film à la gloire d'un meurtrier repose sur l'écriture romanesque de l'opportuniste académicien Rouart - celui que j'appelle le bâtisseur d'innocence - qui s'est appuyé sur les fabulations du mercenaire Roger-Marc Moreau, et sur les propos du meurtrier recueillis par une journaliste: Pourquoi moi ? J'ai envie de répondre : lisez mon ouvrage vous comprendrez Pourquoi lui ! J'avais lu le scénario bien avant la sortie de ce film à la gloire d'un courageux jeune meurtrier d'une femme âgée, que je n'irai pas voir. Il faut dire que le réalisateur Roschdy Zem a été reçu sur tous les plateaux de télévision pour en faire la promotion. Dans le même temps un journaliste indépendant, Guy Hugnet, publiait un livre sur cette affaire – AFFAIRE RADDAD – Le vrai coupable aux éditions l'Archipel - qui analyse les thèses à géométrie variable de la défense et celle de l'accusation dont la lecture vous permettrait de conclure à la culpabilité de Raddad. Mais la télévision française semble l'avoir snobé. Il ne doit pas être médiatiquement correct. Quand je vous dis que les médias sont complices d'une certaine façon !

Ce film va rouvrir les plaies non encore cicatrisées de la famille, surtout du fils de Ghislaine Marchal, Christian Veilleux, qui portait une affection sans limite à sa mère.

Quel crédit alors accorder au film ?

Il est vrai que ces enquêtes partisanes ont vu des journalistes et même un académicien s'acoquiner avec de farfelus détectives privés sans se préoccuper auparavant du dossier criminel, sans avoir assisté au procès et sans s'être renseigné sur les vertus et les antécédents de leurs acolytes. Toutes ces pistes du café du commerce ne sont en réalité que des supercheries, toutes écartées par la Justice et leurs auteurs ont d'ailleurs été condamnés par la XVIIème chambre du tribunal correctionnel de Paris pour diffamation ou complicité de diffamation.

Ces gens-là, à l'évidence, ne cultivent pas le sens des valeurs fondamentales. Leurs abus et dérives prennent des formes et obéissent à des méthodes diverses comme la désinformation, la manipulation de l'opinion publique, la rétention d'informations, la divulgation de fausses nouvelles, la propagation de rumeurs ou de calomnies, la diffamation. Leur objet, affiché ou non, est parfois de faire pression, à travers des opinions publiques conditionnées, sur les juges, de discréditer les institutions ou ceux qui en font partie. Ces manipulateurs peuvent être des justiciables, des professionnels directement ou indirectement liés au résultat d'un procès ou encore des lobbies ou des groupes de pression se qualifiant de « comités de soutien ».

Chacun a le droit d'exprimer librement ses pensées et ses opinions mais la dénaturation, la déformation des faits ou la négligence manifeste dans la vérification de l'information ne constituent-ils pas un abus de la liberté d'expression ?

Interview de Georges Cenci, le 28 juin 2011