Créer un site internet

L'affaire Omar m'a tuer

Presque 20 ans jour pour jour, débutait une des affaires judiciaires les plus médiatisées en France. Le meurtre de Ghislaine Marchal, une veuve richissime de 65 ans, défrayait la chronique dans le pays cannois. Omar Raddad, jardinier de la victime, est inculpé et condamné à 18 ans de réclusion criminelle, notamment à cause d’une inscription en lettres de sang retrouvée sur une porte de la chaufferie, qui le désigne comme le meurtrier. Mais est-il vraiment coupable ? Pour la justice, oui, mais pour bon nombre de personnes il subsiste beaucoup de zones d’ombre sur cette affaire. Au-delà du contexte judiciaire, cette affaire fera planer les spectres de la politique, du racisme et de l’erreur judiciaire.

Les faits

Le 24 juin 1991, la gendarmerie découvre le corps de Ghislaine Marchal dans la chaufferie de sa villa à Mougins. Suite aux appels de sa voisine avec qui elle avait rendez-vous et, qui ne l’avaient plus aperçue depuis la veille, les gendarmes découvrent un spectacle macabre. Mme Marchal a reçu une dizaine de coups de couteau. Le crâne a été défoncé à l’aide d’un chevron en bois et un doigt est presque sectionné. Le plus étonnant est que la victime se trouvait dans le sous-sol de sa villa dans un pièce fermée de l’extérieur, un lit appuyé contre la porte, qui plus est retenue par un tuyau métalique appuyé sur un chevron de bois, empêchant ainsi son ouverture. Sur la porte d’accès à la cave, les gendarmes notent une inscription écrite avec du sang : « Omar, m’a tuer ». Après les vérifications d’usage, les enquêteurs peuvent rapidement déterminer l’identité de ce « Omar ». Il s’agit en fait d’ Omar Raddad, jardinier de Mme Marchal et de sa voisine Francine Pascal. Aucune effraction n’est constatée et aucun bijou n’a été volé. Par contre, il semble qu’une somme équivalente à 5000 francs français aurait été dérobée dans le porte-monnaie de la victime.

 

La villa "La Chamade"

 

L’enquête

Francine Pascal, la voisine de Mme Marchal indique aux enquêteurs qu’Omar travaille en qualité de jardinier à son domicile et à celui de la victime. Elle ajoute que le dimanche 23 juin, le suspect est effectivement venu travailler. D’origine marocaine et de peur de le voir s’enfuir dans son pays, les gendarmes décident tout d’abord de l’interpeler en qualité de témoin important. Le mardi 25 juin, Omar est retrouvé chez sa belle-mère à Toulon et emmené au poste pour une déposition. Les enquêteurs découvrent qu’il a deux mois d’arriérés de loyer et qu’il a demandé à plusieurs reprises des avances sur salaire à ses deux employeurs. Même s'il n'avoue pas son vice du jeu, les enquêteurs découvriront son penchant sur commission rogatoire en fouinant dans le milieu du jeu. Néanmoins il nie fermement avoir quelque chose à voir avec la mort de Mme Marchal. D’ailleurs, il notifie qu’il a quitté le domicile de Mme Pascal vers 12h00 pour aller manger à son domicile et de n’être revenu qu’à 13h10. Il indique également qu’il s’est arrêté dans une boulangerie du Val-de-Mougins pour acheter du pain et que les propriétaires pourront le certifier. Enfin pour le 24 juin, il possède un alibi en béton, puisqu’il a passé toute la journée avec sa famille à Toulon, afin de célébrer une fête religieuse musulmane.

 

Omar Raddad

 

Le rapport d’autopsie indique que le crime aurait été commis entre 12h et 14h le 24 juin, ce qui disculpe totalement Omar Raddad. Cependant, malheureusement, les médecins légistes indiquent peu de temps après, qu’une faute de frappe s’est glissée dans le rapport et que la secrétaire aurait tapé un quatre à la place du trois. Donc, le crime se serait produit le dimanche 23 juin. Omar redevient suspect, surtout que les boulangers du Val-de-Mougins ne se souviennent pas du tout de l’avoir vu au commerce. Face à ces revirements soudains, le juge d’instruction décide de notifier l’inculpation du ressortissant marocain. Il se base avant tout sur l’absence d’alibi du suspect à l’heure du crime, l’inscription du message sur la porte, des dettes contractées par Omar, de l’absence d’effraction au domicile de la victime (il possédait une clé) et du motif de dispute entre Mme Marchal et le jardinier, qui aurait refusé de lui octroyer une avance sur salaire. De plus le juge estime qu’il ne peut s’agir que d’un proche de la victime pour ne lui avoir dérobé qu’une somme d’argent dans son porte-monnaie. Raddad connaissait les habitudes de Mme Marchal, qui se baladait régulièrement avec de fortes sommes d’argent dans son sac. Omar est écroué à la prison de Grasse le 27 juin.

Le procès

Le procès s’ouvre en février 1994 aux Assises des Alpes-Maritimes. L’accusation passe en revue la personnalité du jardinier en démontrant qu’il avait effectué d’importants retraits pendant deux ans (près de 80'000 francs), afin d’alimenter sa passion pour le jeu, tout en masquant la vérité à son épouse, lui déclarant que ces prélèvements servaient à garnir le compte épargne au Maroc. L’audition du personnel du casino de la Croisette à Cannes permet de certifier la présence assidue du suspect plusieurs fois par semaine. L’accusation insiste également sur les demandes incessantes d’avances sur salaire, qui avaient conduit son employeur à refuser toute doléance d’argent. De plus, elle démontre que personne ne l’a vu à la boulangerie, ce que les propriétaires ainsi que le personnel confirment. Pire encore, personne ne l’a vu arriver chez lui ce jour-là. Le témoignage d’une femme qui attendait au balcon l’arrivée de sa fille à l’heure indiquée par Omar, affirme ne pas l’avoir aperçu sur sa mobylette. Bref, autant dire que la véracité des déclarations de Raddad sent progressivement le roussi ! Enfin, le plus gros morceau est présenté avec l’écriture sur la porte de la cave qui incrimine le jardinier, en complément de l’expertise des graphologues, qui attestent que l’écriture est celle de la victime. Enfin, la porte bloquée de l’intérieur. Personne ne peut bloquer cette satanée porte de la sorte depuis l’extérieur. Ce qui tenterait à prouver que Mme Marchal s’est réfugiée en sang dans la cave pour échapper à son agresseur et aurait écrit ses fameux mots sur la porte.

 

La porte de la chaufferie

 

La défense, quant à elle, fait témoigner son épouse, qui affirme, je cite : « mon mari ne ferait même pas de mal à une mouche » et elle surenchérit en indiquant qu’il est un bon père de famille, qui n’a jamais eu de problème avec la justice. Cette phrase donnera lieu à un incident qui aura le mérite d’affirmer le léger climat de racisme qui entoure cette affaire, puisque le président rétorquera : « Il est aussi si gentil lorsqu’il égorge des moutons ? » La défense indique également qu’il existe une autre boulangerie dans le Val-de-Mougins, située à cent mètres de celle citée par l’accusation, dans laquelle les gendarmes ne sont jamais rendus. On saura par la suite que c'est le suspect lui-même qui avait indiqué aux enquêteurs la boulangerie dans laquelle il s'était rendu en indiquant qu'elle ne possédait pas d'escaliers, contrairement à l'autre. Elle poursuit en prouvant qu’Omar avait bien téléphoné à son épouse depuis la cabine proche de son domicile à 12h40. Cet alibi est confirmé par le relevé de France Télécom. La défense enchaîne avec le travail bâclé de l’enquête. Aucune investigation dans le milieu familial de la victime, incinération du corps le lendemain de l’autopsie sans aucune possibilité de complément d’enquête, aucun relevé d’empreintes sur les lieux du crime et surtout un appareil photo appartenant à Mme Marchal, dont la pellicule fut détruite par les gendarmes sous le prétexte qu’elle ne présentait aucun intérêt.

Malgré les efforts de la défense, le verdict implacable tombe et Omar Raddad est condamné à 18 ans de réclusion pour homicide non prémédité.

 

Maître Vergès

 

L’après procès

Omar Raddad, qui a toujours crié son innocence, intente un pourvoi en cassation, mais le 9 mai 1995, la Cour de Cassation rejette sa demande. Son avocat tente alors en 1995 de saisir la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Le 23 mai 1996, Jacques Chirac, alors président de la République, lui octroie une grâce partielle de 4 ans et 8 mois. Apprement des liens entre le président français et Hassan II du Maroc aurait permis une sorte d'échange de bon procédé avec la libération d'un ressortissant français détenu au Maroc. En 1998, Omar Raddad obtient donc une libération conditionnelle et en 1999, il dépose avec son avocat une demande de révision du procès. La Cour rejette cette demande en 2002, estimant qu’il n’y a eu aucun nouvel élément susceptible de faire naître un doute sur sa culpabilité. En 2003, son avocat saisi à nouveau la Cour européenne des Droits de l’Homme, en déposant une requête contre l’Etat français. Elle est rejetée. Enfin en avril 2011, le Parquet de Grasse demande à un expert d’établir un profil génétique à partir de traces ADN datant de 1991. Les résultats sont tombés et l'ADN ne peut être codifié.

Les raisons d’un tel battage médiatique

Premièrement, le contexte de l’affaire : La Côte d’Azur, une riche veuve, un coupable qui clame son innocence et qui n’a pas l’apparence d’un criminel. Tous ces ingrédients font le menu d’une très bonne histoire à raconter. De plus, on aurait presque l’impression de tirer un parallèle avec l’affaire Dominici, qui avait tenu en haleine la France entière 40 ans plus tôt. Deuxièmement, la partialité des médias, qui souvent, n’ont retenu que la surface de l’affaire ou uniquement ce qui aurait pu faire vendre. Troisièmement, Me Vergès, qui n’a pris en main le dossier que trois jours avant le procès et qui a manipulé les médias notamment grâce à sa notoriété. A plusieurs reprises, la défense a tenté des effets de manche pour impressionner les jurés et semer le doute dans leur esprit. Ainsi, quand Me Vergès, tirant prétexte de photos parues dans Paris-Match, accuse les gendarmes de ne pas avoir apposé de scellés sur la porte de la cave pour protéger les lieux avant l’arrivée des techniciens. Me Vergès ignorait probablement que les photos avaient été prises de l’extérieur de la cave par un soupirail près de deux mois après les faits et qu’un procès-verbal versé au dossier en faisait état. Encore aurait-il fallu que Me Vergès l’ait lu !!! Quatrièmement, les enquêteurs qui n’ont pu intervenir dans les médias avec leur devoir de réserve. Et pour terminer, des personnes qui ont apporté des témoignages aussi fantaisistes que rocambolesques pour faire parler d’eux ou pour figurer en première ligne des magazines ou des journaux télévisés. On citera notamment la piste du 2e Omar, l’aveu d’un détenu XYZ, la vision d’une camionnette aux abords de la maison le jour du crime, etc. Toutes ces pistes qui n’ont rien donné et qui ont discrédité l’enquête.

Les médias et l’enquête

Les médias ont longtemps dénoncé une enquête bâclée, qui n’aurait pas été menée avec minutie et rigueur. Les journalistes estiment également que toutes les pistes n’ont pas été suivies. Alors qu’en est-il vraiment ? Tout d’abord, il est nécessaire de remettre de l’ordre dans ces allégations. L’enquête, dirigée par Georges Cenci a été faite dans le respect de la loi et de la justice. Le dossier judiciaire remis à la Cour d’Assise est très complet, minutieux et rigoureux. Contrairement à ce qui a été dit, toutes les pistes ont été suivies, car si les journalistes avaient fait leur travail avec la même rigueur, ils auraient tout de suite compris que Christian Veilleux, le fils de Mme Marchal ne pouvait être incriminé. C’est écrit noir sur blanc sur le dossier, preuves à l’appui. D’ailleurs pour la petite histoire, sachez que le Nouvel Observateur, son directeur de publication, Claude Perdriel et le journaliste auteur de l'article Alain Chouffan, Christophe Dechavanne, Jean-Marie Rouart et Roger-Marc Moreau ont été poursuivis pour diffamation publique et accusations sans fondement. Ils ont dû notamment payer des dommages et intérêts en faveur de Christian Veilleux. Seulement une fois de plus, ces décisions sont passées inaperçues dans les médias ! Autre exemple de manipulation : les empreintes qui n’avaient pas été relevées sur le site du crime sont véridiques. Mais il serait aussi judicieux de préciser que les murs et le sol poreux ne permettaient pas de relever des empreintes. Autre détail qui a son importance et qui n’a jamais été révélé : les poussières de la cave qui ont été retrouvées sur les habits d’Omar Raddad. Nous pourrions également souligner le caractère explosif du criminel, qui pouvait facilement sortir de ses gonds lorsqu’il n’obtenait pas ce qu’il voulait. Ceci n’a jamais été divulgué dans les médias. Et pourtant deux témoins l’ont affirmé. Et nous ne reviendrons pas sur le sujet des mensonges du condamné qui certifiait ne jamais avoir fréquenté les prostituées, alors que plusieurs témoins ont discrédité ses propos. Pour couronné le tout, Raddad, qui se dit musulman pratiquant, aurait travaillé le jour d’une fête religieuse musulmane et aurait fréquenté des prostituées. Ce qui est considéré presque comme un outrage pour l’Imam de Marseille qui avait été consulté par les gendarmes. Quant à l’absence de minutie de l’enquête citée par les journalistes, on notera juste que les gendarmes ont épluché toutes les conversations téléphoniques des 897 cabines de la région cannoise entre le 1er et le 24 juin ! Si ça, ce n’est pas de la pugnacité, je n’y comprends plus rien !

Les zones d’ombres

Les zones d’ombres ont principalement été véhiculées par les médias. Le plus souvent par une méconnaissance du dossier, elles ont titré tout et n’importe quoi dans cette affaire. Ceci découle probablement des expertises graphologiques qui n’ont pas assuré à 100% que l’écriture en lettres de sang provenait de Mme Marchal. De plus, l’erreur d’orthographe dans cette phrase a nourri les sceptiques, car il semblait impossible qu’une femme de son rang puisse faire une telle erreur. Ce qui a été balayé par l’accusation, puisqu’on a retrouvé de nombreuses notes dans son calepin attestant une propension à écrire de la sorte. Enfin l’histoire de la deuxième boulangerie qui se trouvait à 100 mètres de celle qu’Omar cite comme alibi lors des faits, où la gendarmerie ne se serait jamais rendue. Nouveau coup de balai. Bref il a suffi de quelques petites choses mal interprétées pour entamer une vaste chasse aux sorcières et crier à l’erreur judiciaire.

Que s’est-il passé ce jour-là ?

Le démon du jeu aura poussé Omar Raddad à l’impensable. Ses comptes sont à secs, il tente de demander une nouvelle avance à Mme Marchal qui refuse catégoriquement. Le jardinier s’offusque de ce refus et s’ensuit certainement des mots entre les deux parties. Raddad devient furieux, perd le contrôle et empoigne le premier objet qui lui tombe sous la main et assène de violents coups au crâne de Ghislaine à l’aide du chevron en bois. Se rend-il compte de ce qu’il est en train de faire ? Difficile à dire. Soit il décide de l’achever pour maquiller son acte à l’aide du taille-haie qui est dans le local au dessus, soit il n’est pas sorti de sa colère et veut l’achever tout simplement. Elle s’écroule dans la chaufferie après dix coups de cisaille. La laissant pour morte, il quitte le local, ferme à clé, nettoie l’arme à l’aide d’un chiffon (qui sera retrouvé dans le local), remet la cisaille en place, se dirige dans la maison, subtilise 5000 francs et quitte le domaine. Il se rend à la cabine téléphonique, appelle son épouse (l’appel de 12h40) et se rend chez lui, si tant et si bien qu'il s'y soit rendu (personne ne l'y a vu) pour se laver et retourne au travail.

Tout ceci reste bien sûr de la spéculation, mais il y a fort à parier que cette reconstitution doit se rapprocher de la vérité. Mme Marchal, qui agonise entre 15 et 30 minutes au minimum (selon les conclusions du médecin légiste), réussit à mettre en place le système de blocage et à pousser le lit à roulettes contre la porte de la chaufferie, pensant que son meurtrier risque de revenir à la charge. Elle utilise ensuite son sang pour apposer sur les deux portes le nom de son bourreau. Il faut certainement se rendre à l’évidence qu’elle a dû ramper en souffrant pour se déplacer. L’autopsie a trouvé des résidus du sol dans les plaies ouvertes de la victime.

Epilogue

Malgré les envolées de Me Vergès, qui a plus convaincu les médias que la Cour, et qui, soit dit en passant, a été relativement lamentable dans sa défense et surtout n’a pas hésité à mentir aux journalistes, Omar Raddad semble bien être le coupable de la mort de Ghislaine Marchal. A la lecture des 6 volumes de l’enquête, des preuves, et des 22 expertises condamnant le suspect, il est difficile de penser différemment. Toutefois, tant qu’Omar Raddad, ne nous aura pas dit toute la vérité, il peut toujours subsister un doute, qui n'a pu être levé lors de cette ultime expertise d’ADN.

De nombreux livres ont été édités sur cette affaire et un film réalisé en 2007 par Roschdy Zem qui devrait sortir dans les salles le 22 juin 2011. Je ne saurais vous conseiller un livre en particulier, car il en existe beaucoup. Cependant, je vous encourage à lire ceux-ci qui émanent des protagonistes de l’affaire :

"Omar l’a tuée" de Georges Cenci aux éditions l’Harmattan

"Pourquoi Moi" de Sylvie Lotiron et Omar Raddad aux éditions du Seuil

×