Le drame de Mayerling

Le 30 janvier 1889 l’archiduc de l’empire d’Autriche-Hongrie, Rodolphe, fils de François-Joseph et de Sissi, est retrouvé mort dans son pavillon de chasse à Mayerling. A ses côtés, on retrouve également sa maîtresse Marie Vetsera dans le même état. Dans un premier temps, les journaux parlent d’une crise d’apoplexie, puis d’une crise cardiaque sans indiquer la présence de sa maîtresse. C’est seulement bien plus tard que le pot aux roses sera découvert, apportant du coup son lot de doutes et de théories : suicide, assassinats crapuleux, assassinats pour raison d’état, etc. Alors que s’est-il vraiment passé ? Et pourquoi tant d’ombres sur cette tragédie ?

Mayerling 1889

Les faits

Le 30 janvier 1889 dans le petit village de Mayerling (à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Vienne), le valet de l’archiduc Rodolphe fait une découverte macabre dans la chambre à coucher du pavillon de chasse de la famille impériale. Au pied du lit, il aperçoit le corps sans vie de l’archiduc et de sa maîtresse Marie Vetsera. Une arme près de la dépouille fait tout de suite penser, que les deux amants ont mis fin à leur jour mutuellement. La nouvelle remonte très vite jusqu’à la Hofburg (résidence impériale de Vienne). Sous le choc, François-Joseph se doit d’agir en empereur digne de ce nom, mais afin de ne pas salir la réputation de l’empire, il ne peut dévoiler que son fils s’est suicidé, et encore moins au côté de sa maîtresse. Si bien que le premier communiqué officiel parle d’une crise d’apoplexie.

Hofburg vienne

Pourtant le lendemain dans un autre journal, la thèse de la crise cardiaque apparait. Enfin deux jours plus tard un troisième communiqué officiel parle enfin du suicide probable, dans ces termes :

"Son Altesse Impériale et Royale a été trouvée inanimée dans le lit, après que la porte eut été enfoncée.
C'est sur cette impression qu'étaient fondés le rapport et l'hypothèse d'une attaque.
Mais le Dr. Wiederhoher trouva après examen qu'il y avait une énorme blessure avec arrachement, sur une large surface, du cuir chevelu et des os du défunt, et que cette blessure devait avoir entraîné la mort immédiate.
Cette blessure aurait été provoquée par un coup de fusil...
la position de l'arme ne permet pas de douter que l'archiduc se soit donné lui-même la mort."

Par contre il ne fait aucune mention bien évidemment de Marie Vetsera. Ce même jour, elle sera enterrée quasi clandestinement dans un petit cimetière proche de Mayerling.

L’Archiduc Rodolphe

Né en 1858 à Laxenbourg, Rodolphe est très vite éduqué par un tuteur extrêmement militaire et stricte. Entre son père qui ne peut s’en occuper de part ses obligations, et une mère qui sillonne l’empire en long, en large et en travers, l’enfant grandit relativement loin de ses parents. En 1881 il épouse la Princesse Stéphanie de Belgique un peu par dépit. Le couple aura une fille deux ans plus tard (l’archiduchesse Elisabeth-Marie). Mais Rodolphe se lasse très vite de son épouse, trop rigide, bigote et peu attirante. Il se tourne alors vers les quartiers chauds de la ville où il collectionne les relations. Il les collectionne tellement qu’il attrape une maladie vénérienne. Et comme il n’est pas avare, il transmet la maladie à sa femme, ce qui aura le triste résultat de la rendre stérile… ! Pas fino, le Rüdi !

Rodolphe et marie 1

C’est en 1888 (probablement en automne) qu’il rencontre Marie Vetsera par le biais d’une cousine. Il tombe sous le charme de cette belle jeune fille qui n’a que 17 ans. Cette relation est vouée à l’échec, car le divorce est inconcevable et le mariage avec une roturière, on n’en parle même pas. Si bien que leur amour est vécu dans la clandestinité totale, même si la famille et les proches ne sont pas dupes.

Au niveau politique Rodolphe est plutôt libéral et souhaite dépoussiérer un empire trop conservateur. Malheureusement ses idées sont mal perçues par son père qui le tient à l’écart des décisions politiques. Il le cantonne à des tâches plutôt militaires ou insignifiantes à son goût. Rodolphe écrit des pamphlets dans un journal d’opposition sous un nom d’emprunt et n’a pas peur d’afficher des envies plus démocrates et fédérales. L’empire austro-hongrois, qui a des alliances avec l’empire germanique, n’est pas du goût de Rodolphe, qui préférerait se rapprocher de la France et de la Russie. Ses prises de position amènent de nombreuses querelles avec son père.

Les doutes

Les doutes sur le suicide de Rodolphe apparaissent presque immédiatement. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord la dépouille de l’archiduc est présentée avec un bandage au-dessus de la tête. Alors certes une balle dans la tête peut faire des dégâts, mais au point d’arracher une énorme partie du cuir chevelu et des os sur l’arrière du crâne, ça semble bizarre. C’est le genre de blessure que l’on pourrait constater lorsqu’une personne se tire une balle dans la bouche, ce qui n’est pas le cas, où qu’on n’ait tiré derrière le crâne. Seulement on a rarement vu une personne faire feu à l’arrière de la tête pour mettre fin à ses jours. Autre point qui pose problème, Rodolphe avait été vu une semaine auparavant dans un état frais, dispo et certainement pas mélancolique, dépressif ou suicidaire. Il avait de nombreux objectifs planifiés pour les années à venir, ce qui ne correspond pas vraiment à un homme veut en finir avec la vie. Bien évidemment les tergiversations entre les communiqués de l’empire lors de sa mort ont probablement aussi aidé à poser de sérieux doutes sur le décès de Rodolphe.

Rodolphe mort

Les historiens vont mettre aussi à jour plusieurs choses suspectes et notamment l’arme qu’aurait utilisé Rodolphe. D’après eux, il ne s’agissait pas de son arme de service entre guillemets. Donc pourquoi utiliser une arme qui n’est pas la sienne pour mettre fin à ses jours ? Cela n’a pas de sens ! Et surtout comment se fait-ce que le barillet du revolver soit vide, alors qu’on ne retrouve que deux douilles sur le sol ?

Autre grosse bizarrerie, plusieurs témoins ont affirmés qu’il y avait beaucoup de sang dans la chambre à plusieurs endroits différents comme si l’on avait voulu déplacé les corps. Et puis ce qui n’est pas négligeable, contrairement à l’usage, la dépouille est présentée avec des gants noirs. D’après des témoins, ses mains présentaient des entailles défensives et la chambre était complètement en désordre.

Les théories du complot

Plusieurs théorie du complot ont été soulignées, et notamment :

Un assassinat commandité par le chancelier allemand Bismarck. Inquiet des idées de rapprochement de Rodolphe avec La France et la Russie, il aurait fait taire l’archiduc en faisant passer son assassinat pour un suicide. Ceux qui défendent cette thèse s’appuie sur des écrits qui supposaient que François-Joseph était sur le point d’abdiquer au profit de son fils. La perte d’un allié tel que l’Autriche-Hongrie aurait été diablement fâcheux pour les allemands. Ce qu’il faut savoir également stratégiquement c’est que l’Italie, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne avait conclu une alliance. Si l’Autriche-Hongrie quittait cette alliance, il y aurait un trou béant entre l’Italie et l’Allemagne, qui se retrouverait entourée par les autres alliés. Certains témoins ont indiqué d’ailleurs la présence de plusieurs personnes de nationalité allemande dans le village de Mayerling à l’époque des faits.

Otto furst von bismarck

Autre version, celle de Zita l’impératrice, veuve de Charles 1er d’Autriche. Elle estime que Rodolphe aurait été assassiné pour avoir refusé de participer à un complot visant à détrôner son père. Le but de ce complot étant que Rodolphe monte sur le trône de Hongrie et que Jean de Habsbourg-Toscane prenne celui de l’Autriche. Comprenant le refus de l’héritier, les instigateurs aurait préférer le faire taire avant qu’il ne déballe le pot aux roses.

Autres possibilités

Certains ont avancé l’hypothèse de l’inceste. François-Joseph était connu pour avoir aussi des relations extra conjugales. Peter Poetschner, critique et historien d’art, décrit de nombreux traits communs entre les deux amants, tels que le nez, les oreilles et le menton. Il avance l’hypothèse que la mère de Marie aurait eu une relation avec François-Joseph lorsque son mari se trouvait à St-Petersbourg. Concrètement il estime que Marie Vetsera serait la demi sœur de Rodolphe, issue d’une relation entre l’empereur et sa mère. Le soir avant le drame, François-Joseph aurait dévoilé ce secret à son fils héritier. Cette nouvelle l’aurait complètement anéanti et poussé à tuer sa sœur illégitime et se suicider par la suite.

Francois joseph

On ne passera pas en revue toutes les autres diverses théories, puisqu’on en recense une bonne cinquantaine.

Alors que faut-il en penser ?

Difficile d’être objectif à ce sujet et de savoir véritablement ce qui s’est réellement passé. Toutes ces théories ne se basent que sur des suppositions et n’apportent aucune preuve. Il est vrai que de nombreuses zones d’ombres planent autour de cette histoire. Notamment la blessure de l’archiduc, les gants et les flaques de sang, mais pour autant indiquent-elles vraiment autre chose qu’un suicide mutuel ?

Il se peut que l’archiduc ait dévissé légèrement son arme au moment de tirer, inclinant le canon en direction de l’arrière du crâne lorsque celui-ci était plaqué sur sa tempe. Ceci pourrait expliquer que l’arrière de sa tête ait été aussi touché. Les flaques de sang peuvent aussi s’expliquer par la chute des corps après les tirs. Il est possible que les corps se soient affalés sur le lit avant de tomber sur le sol. Avec la partie arrière du crâne arrachée, on peut largement admettre que le sang ait coulé à flot d’abord sur le lit et ensuite sur le sol. Les gants peuvent avoir également une signification : la chambre était complètement en désordre. Il est fort probable que Rodolphe ait saccagé lui-même la pièce par dépit suite à la révélation du secret par son père. Cela pourrait expliquer les écorchures sur les mains, qu’on a ensuite recouvert de gants.

Le complot par les allemands reste du domaine du mythe, car honnêtement il aurait été extrêmement scabreux de se lancer dans une telle entreprise. N’oublions pas que l’empire austo-hongrois était impressionnant à l’époque et les risques de conflits n’auraient certainement pas tourné en faveur des allemands. Il était beaucoup plus sage de garder cet allié que de se risquer à entreprendre une telle action avec les dangers potentiels que cela implique. De plus, François-Joseph était encore bel et bien à la tête de l’empire et les écrits d’une abdication n’étaient que rumeurs. Si François-Joseph pensait céder sa place, il aurait depuis belle lurette donné plus de pouvoir à son fils, ce qui n’était pas le cas.

Quand au complot visant à détrôner François-Joseph de son piédestal, rien n’est prouvé et cela semble peu probable. Difficile de croire que des instigateurs se soient lancés dans une telle entreprise au point de tuer l’archiduc en cas de refus. De toute manière, si d’une manière ou d’une autre François-Joseph aurait eu des doutes sur la mort de son héritier, il aurait certainement lancé une campagne de chasse aux sorcières, afin de retrouver les meurtriers de son fils.

Rebondissement en 2012

Alors que tout le monde pensait que cette énigme resterait enfouie dans les méandres du mystère, la Bibliothèque Nationale d’Autriche annonce en 2012 que la Banque privée Schollerbank vient de lui remettre une chemise en cuir avec des documents administratifs et une lettre écrite par Marie Vetsera. C’est le récent inventaire de la banque privée qui a permis de mettre à jour ces documents.

Dans cette lettre Marie Vetsera écrit à sa mère dans ces mots : « Chère Mère/Pardonne ce que je fais/Je n'ai pas pu résister à l'amour/D'accord avec Lui, je veux être enterrée à ses côtés dans le cimetière d'Alland/Je suis plus heureuse dans la mort que dans la vie. »

Même si la provenance de cette chemise, déposée en 1926 dans la banque, n’est pas établie, il ne fait aucun doute quant à son authenticité. Les documents sont des originaux et ils contiennent un certificat de baptême ainsi que deux actes de décès de la baronne.

Il semble donc bien que les deux amants aient mis fin à leur jour, donnant à cette tragédie un côté romantique que Terence Young saura bien faire ressortir dans son film de 1968.

Epilogue

Même si l’histoire est peut-être moins romantique que dans le film de Young, on se dirige bien vers un suicide mutuel, car on suppose que l’héritier, en plus d’être stérile aurait attrapé la syphilis. Il est clair que certaines zones d’ombre planent encore sur cette affaire, et on ne saura certainement jamais le fin mot de l’histoire, mais les découvertes et les écrits semblent nous diriger inexorablement dans ce sens. Cette thèse est d’or et déjà accrédité par la plupart des historiens. Qu’ils reposent en paix.

Aujourd'hui le pavillon est toujours existant, mais il a été reconverti en musée, où il accueille de nombreux touristes. Des messes sont encore célébrées en l'honneur des amants rebelles. Ci-joint le lien du château : http://www.karmel-mayerling.org/

Mayerling dvd

Mayerling aujourd hui