Les avions renifleurs

Le scandale des avions renifleurs

La phrase peut faire sourire, mais c’est bel et bien une histoire d’escroquerie monumentale entre 1975 et 1979, mêlant l’Etat français, l’entreprise publique Elf Aquitaine et trois illuminés avides de publicité. Un montant exorbitant fut dépensé pour une pseudo invention visant à détecter des poches de pétrole dans le sous-sol au moyen d’avions munis d’un dispositif révolutionnaire.

Comment des politiques et surtout une entreprise comme Elf Aquitaine, avec sa kyrielle de chercheurs et d’ingénieurs ont pu se faire berner par des illuminés, sans que des garanties aient pu être exigées, avant de claquer bêtement des centaines de millions de francs français de l’époque ?

Retour sur une histoire rocambolesque et un scandale retentissant.

Avions renifleurs canard enchaine

Les faits

Le 21 décembre 1983, le journal satirique « Le Canard enchaîné » dévoile au grand public une affaire trouble de financements de fonds publics, qui aura fait perdre à l’Etat français des millions de francs de l’époque. Passé sous silence depuis 1979, cette affaire d’avions renifleurs aurait eu des ramifications jusqu’au sommet de l’Etat. Il va jusqu’à titrer que le rapport de la Cour des Comptes concernant cette histoire aurait été délibérément détruit, et que le premier ministre de l’époque Raymond Barre serait sérieusement impliqué dans la disparition de ce fameux rapport.

Raymond barre 1

Le lendemain à l’Assemblée nationale, le secrétaire d’Etat en place, Henri Emmanuelli, dénonce publiquement la destruction de ce document. Dans le même temps, Valéry Giscard D’Estaing présente une copie du fameux rapport au journal télévisé et dénonce une honteuse tentative de déstabilisation de l’Etat français.

Seulement voilà, lorsque près d’un milliard de francs de l’époque fut investi dans une histoire qui sent à plein nez le poisson avarié, il ne faut pas avoir fait quinze ans d’étude pour s’apercevoir qu’il y a une couille dans le potage. En 1984, une commission d’enquête parlementaire rend son rapport en exonérant l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing. Mais elle se montre plus critique envers l’ancien premier ministre Raymond Barre. Même s’il n’est pas poursuivi, sa carrière politique se dessine plutôt comme l’escalade des Grandes Jorasses avec des espadrilles. Elle lui reproche notamment d’avoir tenté d’étouffer l’affaire.

Comment tout cela a-t-il débuté ?

Deux personnes sont à l’origine de l’affaire : Aldo Bonassolli, ancien agriculteur italien reconvertit en réparateur de télévision et très à l’aise avec les effets vidéo, et Alain de Villegas, aristocrate belge, possédant un château classé au patrimoine. Les deux hommes se passionnent pour tout ce qui touche aux sciences et à la technologie. De Villegas connait du beau monde dans le milieu des affaires et de la jet-set. Grosso modo, c’est assez le genre : « je me la pète.com »

Bonassoli 2524684

A l’aube des années 70, les deux hommes prétendent déjà avoir mis au point un système permettant de détecter des nappes phréatiques. Leur invention serait capable de restituer des images sur la composition du sous-sol et donc de pouvoir déterminer l’emplacement de nappes phréatiques. Ce système révolutionnaire envoie un rayon à la manière d’un sonar, qui sonde le sous-sol et renvoie une image de la composition de la couche terrestre. Ce procédé permet de détecter la présence d’eau, de gaz ou de pétrole. Embarqué dans un avion, l’invention pourrait permettre d’éviter des forages couteux, longs et fastidieux.

De villegas

Mais pour développer ce concept, il faut de l’argent et des relations. C’est dans ce climat que Villegas rencontre Jean Violet, un avocat français. Violet a longtemps travaillé pour le SDECE (ancêtre de la DGSE), et possède des relations au sein de l’Eglise catholique, ainsi qu’avec l’ancien président du Conseil Antoine Pinay. De plus, il entretient de bons rapports avec un des patrons de l’Union de Banques Suisses.

Antoine pinay 1969

Grâce à la force de persuasion de Villegas et des relations obtenues par l’intermédiaire de Violet, le trio persuade l’entreprise française Elf Aquitaine d’investir dans ce procédé. Elf, qui est alors une entreprise publique, se laisse amadouée. Non seulement, Elf pourrait économiser des millions en recherches, et comme la France n’était pas sortie indemne du grand choc pétrolier, cette invention ne pourrait être que bénéfique. Sans oublier qu’elle venait de perdre plusieurs concessions en Afrique et au Moyen-Orient. Seulement, comme c’est une entreprise publique, l’investissement ne peut être avalisé sans le consentement des représentants de l’Etat. De plus, avant de se lancer corps et âme, Elf et l’Etat souhaite comprendre comment ce fameux système fonctionne.

Elf

C’est là que Bonassoli et Villegas la jouent finement. Non seulement ils refusent d’en dévoiler le secret, et restent très évasifs à son sujet. Mais en plus ils menacent de vendre leur invention à d’autres pays, si la France refuse d’investir. En un mot, ils estiment qu’ils ne veulent pas qu’Elf se l’approprie et qu’ils se retrouvent a compter des billes. Quant à Violet, il fait jouer ses relations, car de nombreux anciens membres du SDECE sont actuellement en poste au sein d’Elf. L’Etat, lui, entrevoit la possibilité de pouvoir utiliser aussi l’invention à des fins militaires. Effectivement si ce système fonctionne, il pourrait détecter des sous-marins nucléaires espions.

C’est dans ce climat que Violet persuade tout ce beau monde d’investir dans le projet. Mais avant tout, il faut des garanties et démontrer que l’invention fonctionne. Et c’est là que la mystification commence. Grâce à des sources internes chez Elf, les inventeurs se font remettre des plans de gisement existants. Lors de la première expérience à bord d’un avion, le système détecte soi-disant les fameux gisements au-dessus des sites déjà connus. Ils poussent également le bouchon jusqu’à détecter la présence d’uranium provenant d’un sous-marin nucléaire près de la rade de Brest. Même si certains responsables d’Elf émettent des doutes quant à la fiabilité du système, les responsables politiques donnent leur agrément.

Mais alors, comment cela fonctionne-t-il ?

Sans rentrer dans les détails, le système est implanté dans un avion. Il envoie une sorte de gaz qui transforme le flux gravitationnel en flux électromagnétique. A la façon d’un sonar, sauf que le système renvoie une image que l’on peut distinguer sur un écran de télévision classique. Et d’après Bonassoli, avec ça, vous pouvez faire ce que vous voulez et chercher ce que vous voulez dans le sous-sol. Même si pas grand monde n’a vraiment compris et estiment que cela semble que purement théorique et peu crédible, beaucoup pensent que c’est la découverte du siècle…. !

En mai 1976, un premier contrat de 400 millions est signé pour le perfectionnement et le développement de l’appareil. Le contrat est conclu à Zürich au profit de la Société créée par Villegas et Bonassoli, dont le fondé de pouvoir est Jean Violet. Un deuxième contrat de 350 millions en 1977, puis un troisième de 500 millions en 1978. L’argent est investi notamment dans l’achat de 4 avions, dont un Boeing 707 permettant de faire des prospections à longues distances. Mais également dans un bateau et un centre de recherches employant une vingtaine de salarié, situé dans la propriété de Villegas.

Rivieren castle

Entretemps, Elf décide quand même de vérifier si le procédé n’est pas une escroquerie avec l’aide de deux physiciens, qui ne détectent aucune trace de fraude. Malgré les doutes et la perte de près de 100 millions dans un forage en Afrique du Sud, la compagnie continue de faire confiance au système. En effet, l’invention aurait découvert deux gisements en Algérie et en Afrique du sud, qui se sont en réalité soldés par deux échecs cuisants. Pas de traces d’hydrocarbure. Evidemment si on essaie de forer dans du basalte, il y a peu de chance de trouver quoi que ce soit, vu que c’est une roche magmatique et non sédimentaire. Mais c’est surtout lorsque l’appareil détecte soi-disant un gisement dans les Pyrénées. Manque de chance, Elf va forer juste entre deux gisements…. Ca, c’est vraiment la poisse... ! Du coup, la crédibilité de nos deux inventeurs dégringole puissamment.

Alors pour faire taire les mauvaises langues, Villegas décide de faire un essai de détection avec Monsieur le Président de la République himself : Valéry Giscard d’Estaing. En avril 1979, une démonstration est effectuée au sud de Reims. Et là… voilà t’y pas que deux versions s’entrechoquent. La version Villegas qui se pare de ses plus beaux apparats et annonce que le Président de la République en personne est très satisfait de la démonstration. Et l’autre, qui insiste sur le fait que le président n’a franchement pas été emballé par cette histoire. Une note confidentielle sera dévoilée bien plus tard, dans laquelle VGE sent l’escroquerie et qu’il doute de fiabilité du système…. !

Valery giscard d estaing 1978 3

Et c’est bien la deuxième version qui va solder l’escroquerie de Bonassoli et Villegas, car en mai 1979, le ministre de l’industrie de l’époque décide de faire démontrer l’escroquerie par un physicien au service de l’énergie atomique. Comme les inventeurs ont l’habitude de démontrer leur théorie en faisant apparaître sur l’écran de télévision un objet placé derrière un mur, il décide de faire prouver cette théorie en faisant apparaître une règle derrière un mur. Seulement ce que Bonassoli et Villegas n’avait pas prévu, c’est que le physicien avait remplacé la règle initialement prévue par une autre qu’il avait rompu en deux. Et là, Blam…… ! Tout tombe en miette, le pot aux roses est découvert, car sur l’image, la règle apparait bel et bien en un seul morceau…. Alors là, ça sent la bombe puante !

Et effectivement, on retrouve des polaroids, une caméra infra-rouge, des croquis et tout de sorte de gadgets que Bonassoli utilisait pour gruger son monde. Schématiquement, bon dessinateur, il faisait des croquis des endroits à survoler, les filmait en ensuite les faisait passer à l’aide d’une télécommande, comme s’ils étaient restitués à la manière d’un sonar.

En juillet 1979, le partenariat entre Elf et les inventeurs est totalement dissout et la société arrive péniblement à récupérer 500 millions de francs. Cela dit, il reste quand même un trou de 750 millions… ! Autant dire que cela s’appelle… « dommage, fromage… »

Mais bon dieu, comment n’a-t-on pas pu vérifier tout ça avant ?

Tout simplement parce qu’il y a eu une escalade de confiance. Villegas faisant entrer Violet, dont les connaissances et les relations n’avaient pas à être vérifiées. Un des principaux directeurs de la plus grande banque de l’époque (UBS) qui s’occupe des contrats par l’intermédiaire de Violet. Ce même Violet qui connait de nombreuses personnes au sein d’Elf. Les pouvoirs politiques éblouis par cette technologie, qui pourrait leur permettre de faire concurrence aux grands de ce monde et surtout épongé les séquelles du choc pétrolier. Sans oublier les possibilités militaires qu’offrirait cette invention et le patriotisme…. Ben oui, on est les meilleurs et on a trouvé un super système qu’on gardera pour nous…. Na !

Non plus sérieusement, on a l’impression que tout le monde a fait confiance à l’autre, et ne voyait pas la nécessité de vérifier, même si des doutes persistent. Villegas et Violet connaissant des pointures sur la scène politique, scientifique et ecclésiastique. Sans oublier le spectre de la vente du système à une autre nation en cas de scepticisme sur l’invention. C’est surtout sur cet aspect que Bonassoli a joué pour ne pas vraiment expliquer en détail le fonctionnement de son invention, en se perdant dans la problématique de la traduction entre l’italien et le français. Un peu dans le style : « n’essayez pas de comprendre, c’est compliqué ! »

Et puis, il y a surtout le fait que ni Villegas, ni Bonassoli ne se sont envolés après les versements. Car lorsqu’on se lance dans une escroquerie, on prend gentiment la poudre d’escampette pour profiter de l’argent et ne pas se faire prendre. Mais évidemment, lorsque l’on connait le train de vie de Villegas, il n’a pas pu s’empêcher de paraître et de continuer à en vouloir plus.

Comment n’a-t-on eu vent de cette histoire que 3 ans après ?

Tout d’abord, il y a eu les élections présidentielles de 1981, et il aurait été mal venu à Valéry Giscard d’Estaing que cette affaire explose juste avant une possible réélection. Ensuite il semblerait que Maître Violet ait fait partie de l’Opus Dei, donc il n’est pas impossible que des pressions ait été faites, afin que la loge ne soit pas mise en cause, malgré une probable réception du magot publique… ! (Aucune preuve n’a pu être démontrée à ce jour que l’Opus Dei ou autre organisation ecclésiastique ait reçu quoi que ce soit, mais il serait naïf de croire le contraire, quand on connait les liens qu’entretenait Violet avec l’Eglise…). Et puis bien sur, la crédibilité mise à mal de tout ce beau monde. Sans blague, ça la fout mal que de nombreuses personnalités influentes se soient fait berner par trois illuminés. Enfin il est probable que Raymond Barre ait tout fait pour enterrer cette affaire. Même si aucune preuve directe n’a pu être apportée, de gros soupçons pèsent sur lui. Bref grosso modo, vaut mieux passer pour un dissimulateur qu’un escroc ou un naïf.

Que sont devenus les protagonistes de cette affaire ?

En fait, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Bonassoli est redevenu un petit artisan de télévision en Italie. De Villegas a été complètement ruiné et s’est expatrié en Amérique du Sud. Autant dire que les deux protagonistes de l’affaire s’en sont plutôt mal tirés. Par contre, ceux qui ont travaillé dans l’ombre et qui ont fait en sorte que cette escroquerie ait pu voir le jour, s’en sont probablement mis plein les poches et n’ont pas été inquiétés. J’en veux pour preuve le numéro 2 de l’UBS Philippe de Wreck, qui est retombé sur ses pieds sans problème, alors que c’est lui qui a tout fait pour que l’argent soit investi dans des comptes off-shore au Panama depuis la Suisse, afin de rendre encore plus problématique les éventuelles investigations ultérieures. Sans compter qu’une bonne partie de cet argent aurait probablement financé non seulement des partis politiques, voire même des groupements ecclésiastiques. Bref, tout ceci n’est que supposition, mais il n’en demeure pas moins que des traces et des témoignages attestent en ce sens. Cela dit, juste pour le fun, notez quand même que Philippe de Wreck était non seulement le numéro 2 de l’UBS, mais aussi le président sur le papier de la société dont le fondé de pouvoir était Violet. C’est principalement cette société qui a bénéficié des fonds versés par Elf et l’Etat français. Et il semblerait d’après certaines sources que cette société aurait été liée à une certaine œuvre de religion (IOR), présidée à l’époque par une personne qui fut impliqué dans l’affaire de la banque Ambrosiano….. ! Comme disait l’autre, je dis ça, mais je ne dis rien…. !

Sans compter que la plupart des personnes en place chez Elf Aquitaine, qui ont probablement reçu des pots de vin, et qui ont délibérément menti sur l’invention en connaissance de cause, n’ont pas du tout été inquiétés.

Epilogue

On ne saura probablement jamais le fin mot et les ramifications de cette énorme escroquerie, ainsi que les noms de tous les bénéficiaires de ces fonds publics. Une chose est sure, c’est que ce ne sont pas les escrocs en herbe qui s’en sont tirés les mieux dans cette affaire. Et jusqu’où véritablement l’escroquerie a-t-elle pu être connue. Est-ce que le pouvoir politique était-il vraiment impliqué ? Et surtout a-t-on vraiment fait toutes les vérifications et les enquêtes pour déterminer, au-delà de Bonassoli, De Villegas et Violet, qui était impliqué, et à quel degré ? Est-ce une fois de plus les plus petits qui ont trinqué ? Ca semble être le cas ! Malgré tout, c’est surtout le peuple français qui a trinqué dans cette sombre histoire d’arnaque…

×