Mata Hari, espionne ou victime ?

 

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En octobre 1917, la danseuse exotique Mata Hari est exécutée à la Forteresse de Vincennes. Inculpée d’espionnage à la solde des allemands par le tribunal militaire français,  elle fait un dernier baroud d’honneur à ses bourreaux en refusant de porter un bandeau sur les yeux. Le peloton d’exécution fait feu et Mata Hari quitte le monde des vivants en effectuant une dernière danse.

Pourtant de nombreuses voix s’élèvent contre cette exécution et voient dans la mort de Mata Hari une preuve supplémentaire d’une justice à deux vitesses et partiale. Les preuves fournies sont très minces et il semble qu’elle fut plus un bouc émissaire pour éliminer les tensions internes dans l’armée française qu’une espionne à la solde des allemands. Alors qu’en est-il ? Véritable espionne ou victime d’un système militaire à la déroute ?

Qui est Mata Hari ?

Mata Hari, de son vrai nom Margaretha Gertruida Zelle, est née en 1876 dans la petite ville hollandaise de Leuwarden. Son père, qui est chapelier, lui permet de grandir dans un cadre assez bourgeois. Elle part régulièrement au bord de la mer dans une station balnéaire reconnue et fréquentée par des militaires en permission. C’est par ce biais qu’elle va vite nourrir une attirance pour les hommes en uniforme. Malheureusement son père fait faillite quelques années plus tard et elle est envoyée dans une famille d’accueil à La Haye. En 1895, elle rencontre Rudolf Mc.Leod, un officier hollandais des Indes Orientales, d’origine écossaise. Mc. Leod cherche à se marier et tombe sous le charme de Margaretha, via des petites annonces. Quatre mois plus tard, ils se marient et partent vivre à Java, où elle donnera naissance à deux enfants.

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Dans ce climat exotique, Margaretha est fascinée par les danses pratiquées par les femmes de Java. Elles font ressurgir un charme érotique qui lui manque et éveille en elle toutes sortes de pulsions, qui auront raison de son mariage. Lorsque sa fille meurt d’une intoxication alimentaire, elle décide de quitter Java et divorce de son mari pour se rendre à Paris. Faute d’argent, elle perdra la garde de son dernier enfant.

Dans la capitale française, elle se réinvente une identité et commence à fréquenter les femmes libérées que l’on appelle les Grandes Horizontales. Ces femmes qui tentent de se positionner dans la hiérarchie économique et politique en fréquentant des hommes riches et célèbres. Margaretha va mettre au point des numéros de danses orientales à la sauce occidentale, inventant du même coup ce que l’on appellera plus tard le Strip Tease. Avec l’appui de journalistes acquis à sa cause, elle optera pour le nom de scène de Lady Mc. Leod, avant de s’affubler du mystérieux nom de Mata Hari (œil du jour en malais). C’est une réussite totale, et le tout Paris accourt voir les spectacles de celle que l’on appelle maintenant Mata Hari. Les grands noms de la musique l’encense, tel que Puccini, et les amants se succèdent. En 1910, elle devient la danseuse la mieux payée de la scène européenne.

Mais cette réussite et cette omniprésence excitent autant qu’elles dérangent. Certains l’affublent déjà de titres tels que : mangeuse d’homme ou vampirique. Elle n’hésite d’ailleurs pas à dire qu’elle préfère un officier pauvre à un banquier riche. Et malheureusement, c’est ce genre de propos qui la perdra.

La lente descente aux enfers

En 1914 alors que la guerre éclate, Mata Hari se trouve à Berlin, une ville par ailleurs qu’elle déteste. Elle rencontre un aviateur et officier allemand, avec qui elle a une aventure. Malheureusement avec la déclaration de guerre des allemands aux français, il lui est impossible de retourner en France. Elle décide donc se rendre dans sa Hollande natale, qui est un pays neutre. Mais elle s’ennuie et n’arrive pas à se défaire de ses pulsions. Elle décide de tenter un retour en France en passant par l’Angleterre en 1915. Malheureusement sa notoriété la rattrape. et elle se fera entendre par les agents de Scotland Yard en passant sur le sol britannique. Ses allées et venues entre pays belligérants éveillent les soupçons de l’agence britannique. Pourtant, ils ne trouveront rien à lui reprocher.

De retour à Paris, elle se rendra vite compte que de nombreuses danseuses ont repris sa marque de fabrique. Elle ne fait plus recette, sa silhouette s’est épaissie et la quarantaine approchant, elle n’arrive pas à rivaliser avec les jeunettes qui enflamment les cabarets et les salles de spectacles parisiennes. Néanmoins, elle remet au goût du jour, certaines de ses danses en les intégrant subtilement dans des ballets. Sa grâce fait le reste et sa popularité remonte.

Mais la guerre s’enlise. Ce qui devait être une guerre éclaire devient une guerre de tranchées. Les pertes augmentent inexorablement et le spectre de l’espionnite est omniprésent dans les services du contre espionnage français. En 1916, elle s’amourache d’un soldat russe du nom de Maslov, qui se fait soigner à Vittel, et elle éveille les soupçons de Georges Ladoux, un des hauts responsables du contre espionnage, qui la fait suivre. Pour lui, Mata Hari est certainement un exemple frappant de ce qui pourrait être un agent double, grâce à sa notoriété et ses allées et venues dans plusieurs pays. De plus, il avoue ne pas être en odeur de sainteté avec ce genre de femme. Pourtant il ne trouvera rien à lui reprocher non plus. Afin de ne pas perdre la face, il va lui proposer un marché. Il sait pertinemment qu’elle aime les officiers et va lui offrir la coquette somme d’un million de francs pour tenter de séduire des hauts dignitaires allemands stationnés en Belgique, dans le but de leurs soutirer des informations. En contre partie, Mata Hari, qui peine à joindre les deux bouts avec ses dépenses exorbitantes et qui veut s’occuper de son soldat meurtri, ne se laisse pas prier et accepte.

 

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Cette même année alors qu’elle part en Angleterre, elle se fait intercepter à Falmouth par un agent de Scotland Yard, qui la soupçonne d’espionnage. Elle indique qu’elle travaille pour le gouvernement français et que Ladoux se portera garant d’elle-même. Mais ce même Ladoux nie avoir eu des contacts avec Mata Hari et propose aux anglais de l’envoyer à Madrid, non seulement pour le compte des deux nations, mais également pour tenter de démontrer qu’elle a bien des liens avec les allemands. L’Espagne qui ne participe pas à la guerre, puisqu’elle est elle-même en guerre civile, reçoit des armes et des munitions de l’Allemagne.

A Madrid, Mata Hari tisse des liens avec le major Kalle, qui n’est pas dupe et qui sent bien qu’elle pourrait être un agent envoyé par les Alliés. Sa liaison ne dure pas et début 1917 elle rentre à Paris. En février de cette même année, elle est arrêtée et incarcérée dans la prison St-Lazare. Le capitaine Bouchardon s’occupe de son interrogatoire. Cet officier, qui a fait de l’espionnite son cheval de bataille mène les débats avec un horrible zèle. Il est connu pour ne rien lâcher et serait allé jusqu’à faire condamner des innocents pour calmer le moral des troupes, déchiré par des mutineries de plus en plus fréquentes. Quoi de plus jouissif que d’épingler une telle pointure à son tableau de chasse.

Les services de contre espionnage ont intercepté des messages codés en provenance de Madrid pour Berlin et signés d’un certain H21. Bouchardon est persuadé que Mata Hari et H21 ne font qu’un. Mais elle nie avoir été l’auteur de ses messages et indique qu’elle n’a fait qu’obéir aux ordres en tentant d’obtenir des informations pour la France. Mais, face à la force de persuasion de Bouchardon, Mata Hari craque et annonce qu’elle est bien H21. Cependant elle n’a jamais envoyé de message à Berlin, et elle suppose que le major Kalle a probablement découvert son identité et s’en est servi pour brouiller les pistes. Elle jure devant Dieu qu’elle a toujours servi les intérêts de la France.

 

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Le Procès et la mort de Mata Hari

En juillet 1917, Mata Hari comparait dans une ambiance lourde et électrique. L’accusation la décrit comme une femme vampirique et manipulatrice. Elle est rabaissée et accusée de tous les maux. Ladoux et Bouchardon présentent des preuves très approximatives des messages codés interceptés. En aucun cas, il s’agit des originaux. Pire encore, ils semblent avoir été manipulés. L’avocat vieillissant de Mata Hari fait défiler plusieurs officiers qui nient tous avoir soumis quelques informations que ce soit à l’accusée. Ils indiquent tous clairement qu’ils n’ont eu que des relations intimes avec elle. Malgré cela le procès ne durera que 2 petits jours et les effets de manche de Ladoux et Bouchardon auront portés leurs fruits. Les jurés déclareront Mata Hari coupable de trahison et condamnée à mort. Dans un dernier acte de désespoir, l’avocat tentera de faire commuer la peine de mort en prison à vie, évoquant faussement qu’il aurait mis enceinte l’accusée. Mais rien à faire, il fallait un bouc émissaire et il était tout trouvé. Bouchardon et Ladoux jubilent comme des gosses.

Le 15 octobre 1917, Mata Hari est conduite à la forteresse de Vincennes, où l’attendent ses bourreaux. Dans un dernier baroud d’honneur, elle refuse le bandeau sur les yeux et s’adressent encore aux fusiliers qui la mettent en joue. Elles leur pardonnent, car ils ne savent pas ce qu’ils font et leur envoie un baiser d’adieu. Les bourreaux font feu et Mata Hari s’écroule dans une dernière danse.

 

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Victime ou véritable espionne ?

Avec le recul, il est difficile de croire que Mata Hari était une espionne à la solde des allemands. Bien qu’elle fût recrutée par Ladoux, elle a certainement transmis quelques informations aux français, mais en aucun cas, il était dans sa nature de jouer les agents doubles. Mata Hari avait un faible pour les militaires et les officiers, et c’est probablement cette faiblesse qui a causé sa perte. Elle s’est laissée entraînée naïvement dans un jeu dangereux orchestré par Ladoux, afin de pouvoir continuer son train de vie de luxe. Elle était obnubilée par l’argent, le sexe et la notoriété, mais en aucun cas par l’envie de trahir ou de mentir. D’ailleurs aucunes preuves dignes de ce nom n’ont pu démontrer sa participation dans de l’espionnage.

L’Espion H21 ?

Cet espion (dont on se demande encore s’il a véritablement existé !) aurait été à la solde des allemands et basé en Espagne. Il était sensé envoyer des messages codés à Berlin sur les éventuelles manœuvres orchestrées par les français. Seulement cet espion si bien nommé n’apparaît que sur les preuves très peu crédibles de Ladoux. Certes des messages interceptés par les français depuis la tour Eiffel furent effectivement envoyés depuis Madrid à destination de l’Allemagne, mais rien ne prouve qu’ils furent effectivement signé par H21. Il semble, donc, que ce fameux espion n’était en fait qu’un piège destiné à anéantir Mata Hari et probablement orchestré par l’officier Kalle.

La condamnation de Mata Hari

Cette condamnation reste une des plus sombres de l’histoire judiciaire française. Avec si peu de preuves directes, comment a-t-on pu oser condamner une personne à mort ? En fait, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Tout d’abord, elle fut jugée avant tout par un tribunal militaire, acquis d’avance à la cause de Ladoux et Bouchardon. L’espionnite étant un fléau à éliminer, il fallait mettre un terme par quelque moyen que ce soit à cette épidémie. Ensuite, l’armée française devait faire face à un grave problème de mutinerie à l’intérieur de l’édifice. La guerre qui s’éternisait sur le front ouest et les pertes énormes avaient raison de certains officiers qui ne voulaient plus envoyer leurs hommes au casse-pipe. De nombreux gradés furent emprisonnés, dégradés, voire même exécutés. Le moral des troupes était au plus bas. Le fait de juger et condamner une personne de grande notoriété pour trahison permettait de remettre du baume au cœur et de montrer que l’armée était encore une institution solide et efficace. Autant dire que Mata Hari était déjà coupable avant de se présenter au tribunal. Son train de vie, ses déplacements incessants et son étiquette de mangeuse d’hommes en uniforme ont fait le reste. La coupable de tous les maux était toute trouvée. Ajoutons à cela le zèle de Bouchardon et de Ladoux pour la faire tomber, la suite allait de soi.

Epilogue

Malheureusement Mata Hari n’était certainement pas une espionne, et n’avait non plus rien à voir avec ce mystérieux H21. Elle s’est laissée entraînée malgré elle dans une spirale infernale pour satisfaire ses goûts de luxe et ses fantasmes. Sa notoriété et son comportement ont dérangé des hommes qui ont trouvé en elle la parfaite coupable. Dans le but de remettre les choses à leur place, ils n’ont cessé de la persécuter pour arriver à leur projet narcissique. Elle devait être condamnée, peu importe par quel moyen ou quelle ruse. Elle devait tomber de son piédestal.  

En 2001, Léon Shirman, qui a épluché les archives françaises et allemandes tente de déposer une requête en révision du procès de Mata Hari au Ministre de la Justice. Etonnement la demande fut refusée. Pourquoi donc ?

De nombreuses fictions ont été réalisées sur la vie de Mata Hari, notamment avec Greta Garbo en 1931 et Jeanne Moreau en 1964.

Note de l’auteur

De nombreuses et différentes versions de la biographie de Mata Hari ont été écrites. Elles varient sensiblement les unes des autres sur ses allées et venues entre la France, la Hollande, l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre. Elles diffèrent également sur les nombreux amants qu’elle aurait eus. Enfin certaines dates et certains faits ne correspondent pas selon les versions. Nous avons donc recueilli ici les faits qui se regroupent le plus possible et ceux qui ont été avérés par des témoignages ou des écrits officiels.

 

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